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CONFESSION.

Bodin s’exprime ainsi dans son Livre de la république[1] : « Aussi ne faut-il pas dissimuler si le coupable est découvert avoir conjuré contre la vie du souverain, ou même l’avoir voulu. Comme il advint à un gentilhomme de Normandie de confesser à un religieux qu’il avait voulu tuer le roi François Ier. Le religieux avertit le roi, qui envoya le gentilhomme à la cour du parlement, où il fut condamné à la mort, comme je l’ai appris de M. Canaye, avocat en parlement. »

L’auteur de cet article a été presque témoin lui-même d’une révélation encore plus forte et plus singulière.

On connaît la trahison que fit Daubenton, jésuite, à Philippe V, roi d’Espagne, dont il était confesseur. Il crut, par une politique très-mal entendue, devoir rendre compte des secrets de son pénitent au duc d’Orléans, régent du royaume, et eut l’imprudence de lui écrire ce qu’il n’aurait dû confier à personne de vive voix. Le duc d’Orléans envoya sa lettre au roi d’Espagne ; le jésuite fut chassé, et mourut quelque temps après. C’est un fait avéré[2].

On ne laisse pas d’être fort en peine pour décider formellement dans quel cas il faut révéler la confession : car si on décide que c’est pour le crime de lèse-majesté humaine, il est aisé d’étendre bien loin ce crime de lèse-majesté, et de le porter jusqu’à la contrebande du sel et des mousselines, attendu que ce délit offense précisément les majestés. À plus forte raison faudra-t-il révéler les crimes de lèse-majesté divine ; et cela peut aller jusqu’aux moindres fautes, comme d’avoir manqué vêpres et le salut.

Il serait donc très-important de bien convenir des confessions qu’on doit révéler, et de celles qu’on doit taire ; mais une telle décision serait encore très-dangereuse. Que de choses il ne faut pas approfondir !

Pontas[3] qui décide en trois volumes in-folio de tous les cas

  1. Livre IV, chapitre vii. (Note de Voltaire.)
  2. Voyez le Précis du Siècle de Louis XV, chapitre i (tome XV). — Voltaire reparle encore de la trahison de Daubenton, dans l’analyse qu’il donna des Mémoires d’Adrien-Maurice de Noailles ; voyez dans les Mélanges, année 1777, les Articles extraits du Journal de politique et de littérature.
  3. Le Dictionnaire des cas de conscience, par Jean Pontas, docteur en droit civil et en droit canon, sous-pénitencier de l’église de Paris, fut publié en 1715, et réimprimé, en 1741, à Paris, en trois volumes in-folio. Son opinion, que ce qui se passe au confessionnal ne doit jamais être révélé, est partagée par la plupart des théologiens. Quelques-uns pourtant admettent des cas exceptionnels. Les Monita ad confessarios, imprimés chez Hérissey, à Évreux, en novembre 1862, et distribués aux prêtres du diocèse, par ordre de l’évêque Devoncoux, contiennent, page 30, un passage dont voici la traduction : « Toute pénitente qu’un confesseur essayerait de séduire est tenue d’aller le dénoncer à l’évêque ou à ses vicaires, ou de leur écrire, afin de révéler le loup caché sous la peau du pasteur (ut revelet lupum sub pelle pastoris latentem). »

    Quant à la jurisprudence civile, elle n’était pas fixée sur ce point. Dans les Mémoires de Bachaumont, mine qu’on croit à tort épuisée, on trouve, à la date du 21 février 1778, un procès curieux : Un fermier des environs de Toulouse vint s’accuser à son curé d’avoir, dans une rixe imprévue, tué un de ses amis. Le confesseur dînait le soir même avec la famille du défunt. Il la trouve dans l’ignorance absolue de la perte de son chef, et tout le monde paraît fort gai. Le contraste de cette joie avec le secret funeste qu’il recèle dans son sein afflige et gêne tellement le curé qu’il fait pendant le repas une très-triste figure. On l’interroge sur son embarras apparent ; il explique en des termes ambigus. Un des fils du tué y fait attention et les rumine. Dans la nuit, son imagination s’exalte ; il se persuade que son père est mort et que le curé le sait. Dès le grand matin, il va chez lui pour lui demander l’explication de ses propos entrecoupés de la veille ; celui-ci, se repentant d’en avoir trop dit, élude et prétend ne rien savoir, n’avoir rien dit qui doive l’inquiéter. Le lendemain, ce jeune homme bouillant et agité de nouveau dans la nuit par des rêves plus sinistres, fait part de ses craintes à son frère et de la résolution où il est de forcer le curé à s’expliquer ; il s’arme d’un pistolet, et tous deux vont ensemble chez lui. Après les premières instances, auxquelles le pasteur résiste, le jeune homme, furieux lui montre le pistolet et lui déclare qu’il est résolu de lui brûler la cervelle s’il ne découvre ce qu’il sait sur la mort de son père, dont il ne doute plus.

    L’autre, présent, l’invite aussi à ne pas porter par son refus son frère à exécuter sa menace... Le curé, intimidé enfin, leur raconte tout ce qu’il a appris.

    La chose s’ébruite, le meurtre s’apprend, le ministère public en est instruit, l’affaire est portée au parlement de Toulouse, qui renvoie absous le meurtrier, condamne le curé à être brûlé vif, et les deux frères à être rompus vifs.

    La loi relative à l’organisation des cultes, du 18 germinal an X (8 avril 1802), plaçait à la fin de la formule du serment imposé aux ecclésiastiques : « Et si, dans mon diocèse ou ailleurs, j’apprends qu’il se trame quelque chose au préjudice de l’État, je le ferai savoir au gouvernement. » Aucun prêtre, que nous sachions, n’a eu l’idée, en vertu de ce serment, de trahir les secrets de la confession. (E. B.)