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CONFESSION.

On ne connaissait point à Paris ces billets au porteur, lorsque, vers l’an 1750, un archevêque de Paris imagina d’introduire une espèce de banque spirituelle pour extirper le jansénisme, et pour faire triompher la bulle Unigenitus[1]. Il voulut qu’on refusât l’extrême-onction et le viatique à tout malade qui ne remettait pas un billet de confession signé d’un prêtre constitutionnaire.

C’était refuser les sacrements aux neuf dixièmes de Paris. On lui disait en vain : « Songez à ce que vous faites : ou ces sacrements sont nécessaires pour n’être point damné, ou l’on peut être sauvé sans eux avec la foi, l’espérance, la charité, les bonnes œuvres, et les mérites de notre Sauveur. Si l’on peut être sauvé sans ce viatique, vos billets sont inutiles. Si les sacrements sont absolument nécessaires, vous damnez tous ceux que vous en privez ; vous faites brûler pendant toute l’éternité six à sept cent mille âmes, supposé que vous viviez assez longtemps pour les enterrer : cela est violent ; calmez-vous et laissez mourir chacun comme il peut. »

Il ne répondit point à ce dilemme ; mais il persista. C’est une chose horrible d’employer pour tourmenter les hommes la religion, qui les doit consoler. Le parlement, qui a la grande police, et qui vit la société troublée, opposa, selon la coutume, des arrêts aux mandements. La discipline ecclésiastique ne voulut point céder à l’autorité légale. Il fallut que la magistrature employât la force, et qu’on envoyât des archers pour faire confesser, communier et enterrer les Parisiens à leur gré.

Dans cet excès de ridicule dont il n’y avait point encore d’exemple, les esprits s’aigrirent ; on cabala à la cour, comme s’il s’était agi d’une place de fermier général, ou de faire disgracier un ministre. Le royaume fut troublé d’un bout à l’autre. Il entre toujours dans une cause des incidents qui ne sont pas du fond : il s’en mêla tant que tous les membres du parlement furent exilés, et que l’archevêque le fut à son tour.

Ces billets de confession auraient fait naître une guerre civile dans les temps précédents ; mais dans le nôtre ils ne produisirent heureusement que des tracasseries civiles. L’esprit philosophique, qui n’est autre chose que la raison, est devenu chez tous les honnêtes gens le seul antidote dans ces maladies épidémiques.

  1. Voyez (tome XV) le chapitre xxxvi du Précis du Siècle de Louis XV, et (tome XVI) le chapitre lxv de l’Histoire du Parlement.