Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome18.djvu/266

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parfaite que pour régler une espèce de folie, qui est le jeu. Les règles du jeu sont les seules qui n’admettent ni exception, ni relâchement, ni variété, ni tyrannie. Un homme qui a été laquais, s’il joue au lansquenet avec des rois, est payé sans difficulté quand il gagne ; partout ailleurs, la loi est un glaive dont le plus fort coupe par morceaux le plus faible.

Cependant ce monde subsiste comme si tout était bien ordonné ; l’irrégularité tient à notre nature ; notre monde politique est comme notre globe, quelque chose d’informe qui se conserve toujours. Il y aurait de la folie à vouloir que les montagnes, les mers, les rivières, fussent tracées en belles figures régulières ; il y aurait encore plus de folie de demander aux hommes une sagesse parfaite : ce serait vouloir donner des ailes à des chiens, ou des cornes à des aigles.


SECTION II[1].


Exemples tirés de l’histoire, de la sainte écriture, de plusieurs écrivains, du fameux curé Meslier, d’un prédicant nommé Antoine, etc.


On vient de montrer les contradictions de nos usages, de nos mœurs, de nos lois : on n’en a pas dit assez.

Tout a été fait, surtout dans notre Europe, comme l’habit d’Arlequin : son maître n’avait point de drap ; quand il fallut l’habiller, il prit des vieux lambeaux de toutes couleurs : Arlequin fut ridicule, mais il fut vêtu.

Où est le peuple dont les lois et les usages ne se contredisent pas ? Y a-t-il une contradiction plus frappante et en même temps plus respectable que le saint empire romain ? en quoi est-il saint ? en quoi est-il empire ? en quoi est-il romain ?

Les Allemands sont une brave nation que ni les Germanicus, ni les Trajan, ne purent jamais subjuguer entièrement. Tous les peuples germains qui habitaient au delà de l’Elbe furent toujours invincibles, quoique mal armés ; c’est en partie de ces tristes climats que sortirent les vengeurs du monde. Loin que l’Allemagne soit l’empire romain, elle a servi à le détruire.

  1. En 1771, dans la quatrième partie des Questions sur l’Encyclopédie, cette section formait tout l’article, qui alors commençait ainsi : « On a déjà montré ailleurs les contradictions de nos usages, etc. »

    Le sommaire de l’article fut ajouté en 1774, dans l’édition in-4o. (B.)