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BOIRE À LA SANTÉ.

tumes de l’antiquité, boivent à l’honneur des dames : c’est ce qu’ils appellent toster; et c’est parmi eux un grand sujet de dispute si une femme est tostable ou non, si elle est digne qu’on la toste.

On buvait à Rome pour les victoires d’Auguste, pour le retour de sa santé. Dion Cassius rapporte qu’après la bataille d’Actium le sénat décréta que dans les repas on lui ferait des libations au second service. C’est un étrange décret. Il est plus vraisemblable que la flatterie avait introduit volontairement cette bassesse. Quoi qu’il en soit, vous lisez dans Horace (liv. IV, od. v) :

Hinc ad vina redit lætus, et alteris

Te mensis adhibet deum :

Te multa prece, te prosequitur mero
Defuso pateris ; et laribus tuum
Miscet numen, uti Græcia Castoris,

Et magni memor Herculis.

Longas o utinam, dux bone, ferias
Præstes Hesperiæ ! dicimus integro
Sicci mane die ; dicimus uvidi

Quum sol Oceano subest.

Sois le dieu des festins, le dieu de l’allégresse ;
Que nos tables soient tes autels.
Préside à nos jeux solennels,
Comme Hercule aux jeux de la Grèce.

Seul tu fais les beaux jours, que tes jours soient sans fin !
C’est ce que nous disons en revoyant l’aurore,
Ce qu’en nos douces nuits nous redisons encore,

Entre les bras du dieu du vin[1].

On ne peut, ce me semble, faire entendre plus expressément ce que nous entendons par ces mots : « Nous avons bu à la santé de Votre Majesté. »

C’est de là, probablement, que vint, parmi nos nations barbares, l’usage de boire à la santé de ses convives : usage absurde, puisque vous videriez quatre bouteilles sans leur faire le moindre bien ; et que veut dire boire à la santé du roi, s’il ne signifie pas ce que nous venons de voir ?

Le Dictionnaire de Trévoux nous avertit « qu’on ne boit pas à la santé de ses supérieurs en leur présence ». Passe pour la France

  1. Dacier a traduit sicci et uvidi : dans nos prières du soir et du matin. (Note de Voltaire.)