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DAVID.

Ce n’était pas David qu’on voulait défendre, c’était Bayle qu’on voulait perdre. Quelques prédicants de Hollande, ses ennemis mortels, furent aveuglés par leur haine au point de le reprendre d’avoir donné des louanges à des papes qu’il en croyait dignes, et d’avoir réfuté les calomnies débitées contre eux.

Cette ridicule et honteuse injustice fut signée de douze théologiens, le 20 décembre 1698, dans le même consistoire où ils feignaient de prendre la défense du roi David. Comment osaient-ils manifester hautement une passion lâche que le reste des hommes s’efforce toujours de cacher ? Ce n’était pas seulement le comble de l’injustice et du mépris de toutes les sciences ; c’était le comble du ridicule que de défendre à un historien d’être impartial, et à un philosophe d’être raisonnable. Un homme seul n’oserait être insolent et injuste à ce point ; mais dix ou douze personnes rassemblées, avec quelque espèce d’autorité, sont capables des injustices les plus absurdes. C’est qu’elles sont soutenues les unes par les autres, et qu’aucune n’est chargée en son propre nom de la honte de la compagnie.

Une grande preuve que cette condamnation de Bayle fut personnelle est ce qui arriva en 1761 à M. Hut, membre du parlement d’Angleterre. Les docteurs Chandler et Palmer avaient prononcé l’oraison funèbre du roi George II, et l’avaient, dans leurs discours, comparé au roi David, selon l’usage de la plupart des prédicateurs qui croient flatter les rois.

M. Hut ne regarda point cette comparaison comme une louange ; il publia la fameuse dissertation the Man after God’s own heart[1]. Dans cet écrit il veut faire voir que George II, roi beaucoup plus puissant que David, n’étant pas tombé dans les fautes du melk juif, et n’ayant pu par conséquent faire la même pénitence, ne pouvait lui être comparé.

Il suit pas à pas les livres des Rois. Il examine toute la conduite de David beaucoup plus sévèrement que Bayle ; et il fonde son opinion sur ce que le Saint-Esprit ne donne aucune louange aux actions qu’on peut reprocher à David. L’auteur anglais juge le roi de Judée uniquement sur les notions que nous avons aujourd’hui du juste et de l’injuste.

Il ne peut approuver que David rassemble une bande de voleurs au nombre de quatre cents, qu’il se fasse armer par le

  1. Il existe une traduction française sous le titre David, ou l’Histoire de l’homme selon le cœur de Dieu, ouvrage traduit de l’anglais (par le baron d’Holbach), à Londres (en Hollande), 1768, petit in-8º. (B.)