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DICTIONNAIRE.
D’un incurable amour remèdes impuissants.
(Phèdre, acte I, scène iii.)

Voilà ce que Boileau appelle des mots trouvés.

Dès qu’un homme de génie a fait un usage nouveau d’un terme de la langue, les copistes ne manquent pas d’employer cette même expression mal à propos en vingt endroits, et n’en font jamais honneur à l’inventeur.

Je ne crois pas qu’il y ait un seul de ces mots trouvés, une seule expression neuve de génie dans aucun auteur tragique depuis Racine, excepté ces années dernières. Ce sont pour l’ordinaire des termes lâches, oiseux, rebattus, si mal mis en place qu’il en résulte un style barbare ; et, à la honte de la nation, ces ouvrages visigoths et vandales furent quelque temps prônés, célébrés, admirés dans les journaux, dans les mercures, surtout quand ils furent protégés par je ne sais quelle dame[1] qui ne s’y connaissait point du tout. On en est revenu aujourd’hui, et, à un ou deux près, ils sont pour jamais anéantis.

Je ne prétendais pas faire toutes ces réflexions, mais mettre le lecteur en état de les faire.

Je faisais voir à la lettre E que nos e muets, qui nous sont reprochés par un Italien, sont précisément ce qui forme la délicieuse harmonie de notre langue. « Empire, couronne, diadème, épouvantable, sensible ; » cet e muet, qu’on fait sentir sans l’articuler, laisse dans l’oreille un son mélodieux, comme celui d’un timbre qui résonne encore quand il n’est plus frappé. C’est ce que nous avons déjà répondu à un Italien homme de lettres, qui était venu à Paris pour enseigner sa langue, et qui ne devait pas y décrier la nôtre[2].

Il ne sentait pas la beauté et la nécessité de nos rimes féminines ; elles ne sont que des e muets. Cet entrelacement de rimes masculines et féminines fait le charme de nos vers.

De semblables observations sur l’alphabet et sur les mots auraient pu être de quelque utilité ; mais l’ouvrage eût été trop long.

  1. Cela paraît avoir rapport au Catilina de Crébillon, et à Mme de Pompadour, que les ennemis de Voltaire avaient excitée à favoriser le succès de cette mauvaise tragédie. (K.)
  2. M. Deodati de Tovazzi, le même à qui sont adressées des stances (voyez tome VIII, page 531), et les lettres de la Correspondance, du 24 janvier 1701, et du 9 septembre 1766.