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DIEU, DIEUX.
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Dieu suprême le culte de Mars, de Vénus, de Minerve, d’Apollon, qui n’existaient pas, et d’avoir conservé cette religion jusqu’au temps des Théodose. Heureusement les Goths, les Huns, les Vandales, les Hérules, les Lombards, les Francs, qui détruisirent cet empire, se soumirent à la vérité, et jouirent d’un bonheur qui fut refusé aux Scipion, aux Caton, aux Métellus, aux Émile, aux Cicéron, aux Varron, aux Virgile, et aux Horace[1].

Tous ces grands hommes ont ignoré Jésus-Christ, qu’ils ne pouvaient connaître ; mais ils n’ont point adoré le diable, comme le répètent tous les jours tant de pédants. Comment auraient-ils adoré le diable, puisqu’ils n’en avaient jamais entendu parler ?


D’une calomnie de Warburton contre Cicéron,
au sujet d’un dieu suprême.


Warburton a calomnié Cicéron et l’ancienne Rome[2], ainsi que ses contemporains. Il suppose hardiment que Cicéron a prononcé ces paroles dans son Oraison pour Flaccus : « Il est indigne de la majesté de l’empire d’adorer un seul Dieu. — Majestatem imperii non decuit ut unus tantum Deus colatur. »

Qui le croirait ? il n’y a pas un mot de cela dans l’Oraison pour Flaccus, ni dans aucun ouvrage de Cicéron. Il s’agit de quelques vexations dont on accusait Flaccus, qui avait exercé la préture dans l’Asie Mineure. Il était secrètement poursuivi par les Juifs, dont Rome était alors inondée : car ils avaient obtenu à force d’argent des priviléges à Rome, dans le temps même que Pompée, après Crassus, ayant pris Jérusalem, avait fait pendre leur roitelet Alexandre, fils d’Aristobule, Flaccus avait défendu qu’on fît passer des espèces d’or et d’argent à Jérusalem, parce que ces monnaies en revenaient altérées, et que le commerce en souffrait ; il avait fait saisir l’or qu’on y portait en fraude. Cet or, dit Cicéron, est encore dans le trésor ; Flaccus s’est conduit avec autant de désintéressement que Pompée.

Ensuite Cicéron, avec son ironie ordinaire, prononce ces paroles : « Chaque pays à sa religion ; nous avons la nôtre. Lorsque Jérusalem était encore libre, et que les Juifs étaient en paix, ces Juifs n’avaient pas moins en horreur la splendeur de cet empire, la dignité du nom romain, les institutions de nos ancêtres. Aujourd’hui cette nation a fait voir plus que jamais, par la force de ses

  1. Voyez l’article Idole, Idolâtre, Idolâtrie. (Note de Voltaire.)
  2. Préface de la iie partie du tome II de la Légation de Moïse, page 91. (Id.)