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DIEU, DIEUX.

catéchise ; pourvu que ce prêtre ne soit pas un Le Tellier[1], qui met tout un royaume en combustion par des fourberies dignes du pilori ; un Warburton, qui viole les lois de la société en manifestant les papiers secrets d’un membre du parlement pour le perdre, et qui calomnie quiconque n’est pas de son avis ? Ces derniers cas sont rares. L’état du sacerdoce est un frein qui force à la bienséance.

Un sot prêtre excite le mépris ; un mauvais prêtre inspire l’horreur ; un bon prêtre, doux, pieux, sans susperstition, charitable, tolérant, est un homme qu’on doit chérir et respecter. Vous craignez l’abus, et moi aussi. Unissons-nous pour le prévenir ; mais ne condamnons pas l’usage quand il est utile à la société, quand il n’est pas perverti par le fanatisme, ou par la méchanceté frauduleuse.

J’ai une chose très-importante à vous dire. Je suis persuadé que vous êtes dans une grande erreur ; mais je suis également convaincu que vous vous trompez en honnête homme. Vous voulez qu’on soit vertueux, même sans Dieu, quoique vous ayez dit malheureusement que « dès que le vice rend l’homme heureux, il doit aimer le vice » ; proposition affreuse que vos amis auraient dû vous faire effacer. Partout ailleurs vous inspirez la probité. Cette dispute philosophique ne sera qu’entre vous et quelques philosophes répandus dans l’Europe : le reste de la terre n’en entendra point parler ; le peuple ne nous lit pas. Si quelque théologien voulait vous persécuter, il serait un méchant, il serait un imprudent qui ne servirait qu’à vous affermir et à faire de nouveaux athées.

Vous avez tort ; mais les Grecs n’ont point persécuté Épicure, les Romains n’ont point persécuté Lucrèce. Vous avez tort ; mais il faut respecter votre génie et votre vertu, en vous réfutant de toutes ses forces.

Le plus bel hommage, à mon gré, qu’on puisse rendre à Dieu, c’est de prendre sa défense sans colère ; comme le plus indigne portrait qu’on puisse faire de lui est de le peindre vindicatif et furieux. Il est la vérité même : la vérité est sans passions. C’est être disciple de Dieu que de l’annoncer d’un cœur doux et d’un esprit inaltérable.

  1. Sur Le Tellier, voyez le chapitre xxxvii du Siècle de Louis XIV ; et ci-dessus l’article Bulle.