Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome18.djvu/41

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
31
BOURREAU.

des géants ; mais puisqu’il n’y a pas le moindre avantage dans cette vanité, il faut s’en détacher. C’est tout ce que j’avais à dire sur Bourges.


BOURREAU[1].


Il semble que ce mot n’aurait point dû souiller un dictionnaire des arts et des sciences ; cependant il tient à la jurisprudence et à l’histoire. Nos grands poètes n’ont pas dédaigné de se servir fort souvent de ce mot dans les tragédies ; Clytemnestre, dans Iphigénie, dit à Agamemnon :

Bourreau de votre fille, il ne vous reste enfin
Que d’en faire à sa mère un horrible festin.

(Acte IV, scène iv.)

On emploie gaiement ce mot en comédie : Mercure dit dans l’Amphitryon (acte I, scène ii) :

Comment ! bourreau, tu fais des cris !

Le joueur dit (acte IV, scène xiii) :

. . . . Que je chante, bourreau !

Et les Romains se permettaient de dire :

Quorsum vadis, carnifex ?

Le Dictionnaire encyclopédique, au mot Exécuteur, détaille tous les privilèges du bourreau de Paris ; mais un auteur nouveau a été plus loin[2]. Dans un roman d’éducation, qui n’est ni celui de Xénophon, ni celui de Télémaque, il prétend que le monarque doit donner sans balancer la fille du bourreau en mariage à l’héritier présomptif de la couronne, si cette fille est bien élevée, et si elle a beaucoup de convenance avec le jeune prince[3]. C’est dommage qu’il

  1. Questions sur l’Encyclopédie, troisième partie, 1770. (B.)
  2. Roman intitulé Émile, livre V. (Note de Voltaire.)
  3. « Je ne dis pas, écrit J.-J. Rousseau, que les rapports conventionnels soient indifférents dans le mariage ; mais je dis que l’influence des rapports naturels l’emporte tellement sur la leur, que c’est elle seule qui décide du sort de la vie, et qu’il y a telle convenance de goût, d’humeur, de sentiment, de caractère, qui devrait engager un père sage, fût-il prince, fût-il monarque, à donner sans balancer à son fils la fille avec laquelle il aurait toutes ces convenances, fût-elle née dans une famille déshonnête, fût-elle la fille du bourreau. »