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DROIT.

ému de pitié, tua le mangeur d’enfants, et délivra le petit garçon, qui s’enfuit aussitôt. Deux passants voient de loin le bonhomme, et l’accusent devant le prévôt d’avoir commis un meurtre sur le grand chemin. Le corps du délit était sous les yeux du juge, deux témoins parlaient, on devait payer cent écus au juge pour ses vacations, la loi était précise : le villageois fut pendu sur-le-champ pour avoir fait ce qu’auraient fait à sa place Hercule, Thésée, Roland, et Amadis. Fallait-il pendre le prévôt qui avait suivi la loi à la lettre ? Et que jugea-t-on à la grande audience ? Pour résoudre mille cas de cette espèce on a fait mille volumes.

Puffendorf établit d’abord des êtres moraux. « Ce sont, dit-il[1], certains modes que les êtres intelligents attachent aux choses naturelles ou aux mouvements physiques, en vue de diriger ou de restreindre la liberté des actions volontaires de l’homme, pour mettre quelque ordre, quelque convenance, et quelque beauté dans la vie humaine. »

Ensuite, pour donner des idées nettes aux Suédois et aux Allemands du juste et de l’injuste, il remarque[2] « qu’il y a deux sortes d’espaces : l’un à l’égard duquel on dit que les choses sont quelque part, par exemple : ici, là ; l’autre à l’égard duquel on dit qu’elles existent en un certain temps, par exemple : aujourd’hui, hier, demain. Nous concevons aussi deux sortes d’états moraux : l’un qui marque quelque situation morale, et qui a quelque conformité avec le lieu naturel ; l’autre qui désigne un certain temps en tant qu’il provient de là quelque effet moral, etc. »

Ce n’est pas tout[3] ; Puffendorff distingue très-curieusement les modes moraux simples et les modes d’estimation, les qualités formelles et les qualités opératives. Les qualités formelles sont de simples attributs, mais les opératives doivent soigneusement se diviser en originales et en dérivées.

Et cependant Barbeyrac a commenté ces belles choses, et on les enseigne dans des universités. On y est partagé entre Grotius et Puffendorf sur des questions de cette importance. Croyez-moi, lisez les Offices de Cicéron[4].

  1. Tome 1, page 2, traduction de Barbeyrac, avec commentaires, (Note de Voltaire.)
  2. Page 6. (Id.)
  3. Page 16. (Id.)
  4. Le premier ouvrage de Samuel Puffendorf, jurisconsulte allemand, Elementa jurisprudentiœ naturalis methodo mathematica, a été publié en 1660 et n’a pas été traduit en français ; mais la traduction du second : De Jure naturœ et gentium, libri VIII (Londres, 1672, in-4o), a paru à Amsterdam en 1729 (2 vol. in-4o) sous ce titre : le Droit de la nature et des gens, ou Système général des principes les plus importants de la morale, de la jurisprudence et de la politique, traduit du latin de Samuel de Puffendorf par Jean Barbeyrac, avec des notes et une préface du traducteur. (E. B.)