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ÉCLIPSE.

Comment en effet résister à l’autorité d’un témoin oculaire, éclairé, et désintéressé, puisque alors on suppose que Denis était encore païen ?

Comme ces prétendues lettres de Denis ne furent forgées que vers le ve ou vie siècle, Eusèbe de Césarée s’était contenté d’alléguer le témoignage de Phlégon, affranchi de l’empereur Adrien[1]. Cet auteur était aussi païen, et avait écrit l’histoire des olympiades, en seize livres, depuis leur origine jusqu’à l’an 140 de l’ère vulgaire. On lui fait dire qu’en la quatrième année de la deux cent deuxième olympiade il y eut la plus grande éclipse de soleil qu’on eût jamais vue : le jour fut changé en nuit à la sixième heure ; on voyait les étoiles, et un tremblement de terre renversa plusieurs édifices de la ville de Nicée en Bithynie. Eusèbe ajoute que les mêmes événements sont rapportés dans les monuments anciens des Grecs comme étant arrivés la dix-huitième année de Tibère. On croit qu’Eusèbe veut parler de Thallus, historien grec, déjà cité par Justin, Tertullien, et Jules Africain ; mais l’ouvrage de Thallus ni celui de Phlégon n’étant point parvenus jusqu’à nous, l’on ne peut juger de l’exactitude des deux citations que par le raisonnement.

Il est vrai que le Chronicon paschale des Grecs, ainsi que saint Jérôme, Anastase, l’auteur de l’Historia miscellanea, et Fréculphe de Luxem[2] parmi les Latins, se réunissent tous à représenter le fragment de Phlégon de la même manière, et s’accordent à y lire le même nombre qu’Eusèbe. Mais on sait que ces cinq témoins, allégués comme uniformes dans leur déposition, ont traduit ou copié le passage, non de Phlégon lui-même, mais d’Eusèbe, qui l’a cité le premier ; et Jean Philoponus, qui avait lu Phlégon, bien loin d’être d’accord avec Eusèbe, en diffère de deux ans. On pourrait aussi nommer Maxime et Madela comme ayant vécu dans le temps que l’ouvrage de Phlégon subsistait encore, et alors voici le résultat. Cinq des auteurs cités sont des copistes ou des traducteurs d’Eusèbe. Philoponus, là où il déclare qu’il rapporte les propres termes de Phlégon, lit d’une seconde façon,

  1. Voici le passage de Phlégon, cité par Eusèbe : « La 4e année de la 202e olympiade, il y eut une éclipse de soleil, la plus grande qu’on eût encore vue. Il survint à la sixième heure du jour une nuit si obscure que les étoiles parurent dans le ciel. Il se fit, de plus, un grand tremblement de terre qui renversa plusieurs maisons de Nicée, en Bithynie. »
  2. M. Louis du Bois, de Lisieux, a le premier, en 1825, signalé le mot Luxem comme mis par erreur pour Lisieux, dont Fréculphe fut évêque au ixe siècle. On a de Fréculphe une Chronique en latin, imprimée plusieurs fois au xvie siècle, et réimprimée dans la Bibliotheca Patrum. (B.)