Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome18.djvu/496

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
486
ÉGLISE


DES MARTYRS DE L’ÉGLISE.


Quand les sociétés chrétiennes devinrent un peu nombreuses, et que plusieurs s’élevèrent contre le culte de l’empire romain, les magistrats sévirent contre elles, et les peuples surtout les persécutèrent. On ne persécutait point les Juifs qui avaient des priviléges particuliers, et qui se renfermaient dans leurs synagogues ; on leur permettait l’exercice de leur religion, comme on fait encore aujourd’hui à Rome ; on souffrait tous les cultes divers répandus dans l’empire, quoique le sénat ne les adoptât pas.

Mais les chrétiens se déclarant ennemis de tous ces cultes, et surtout de celui de l’empire, furent exposés plusieurs fois à ces cruelles épreuves.

Un des premiers et des plus célèbres martyrs fut Ignace, évêque d’Antioche, condamné par l’empereur Trajan lui-même, alors en Asie, et envoyé par ses ordres à Rome, pour être exposé aux bêtes, dans un temps où l’on ne massacrait point à Rome les autres chrétiens. On ne sait point précisément de quoi il était accusé auprès de cet empereur, renommé d’ailleurs pour sa clémence : il fallait que saint Ignace eût de bien violents ennemis. Quoi qu’il en soit, l’histoire de son martyre rapporte qu’on lui trouva le nom de Jésus-Christ gravé sur le cœur, en caractères d’or ; et c’est de là que les chrétiens prirent en quelques endroits le nom de Théophores, qu’Ignace s’était donné à lui-même.

On nous a conservé une lettre de lui[1], par laquelle il prie les évêques et les chrétiens de ne point s’opposer à son martyre : soit que dès lors les chrétiens fussent assez puissants pour le délivrer, soit que parmi eux quelques-uns eussent assez de crédit pour obtenir sa grâce. Ce qui est encore très-remarquable, c’est qu’on souffrit que les chrétiens de Rome vinssent au-devant de lui, quand il fut amené dans cette capitale ; ce qui prouverait évidemment qu’on punissait en lui la personne, et non pas la secte.

Les persécutions ne furent pas continuées. Origène, dans son livre III contre Celse, dit : « On peut compter facilement les chrétiens qui sont morts pour leur religion, parce qu’il en est mort peu, et seulement de temps en temps et par intervalles, »

Dieu eut un si grand soin de son Église, que, malgré ses

  1. Dupin, dans sa Bibliothèque ecclésiastique, prouve que cette lettre est authentique. (Note de Voltaire.)