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ÉGLISE.

Romanus ; que le premier médecin de l’empereur, se trouvant là, fit officieusement la fonction de bourreau, et lui coupa la langue dans la racine ; qu’aussitôt le jeune homme, qui était bègue auparavant, parla avec beaucoup de liberté ; que l’empereur fut étonné que l’on parlât si bien sans langue ; que le médecin, pour réitérer cette expérience, coupa sur-le-champ la langue à un passant, lequel en mourut subitement[1].

Eusèbe, dont le bénédictin Ruinart a tiré ce conte, devait respecter assez les vrais miracles opérés dans l’Ancien et dans le Nouveau Testament (desquels personne ne doutera jamais) pour ne pas leur associer des histoires si suspectes, lesquelles pourraient scandaliser les faibles.

Cette dernière persécution ne s’étendit pas dans tout l’empire. Il y avait alors en Angleterre quelque christianisme, qui s’éclipsa bientôt pour reparaître ensuite sous les rois saxons. Les Gaules méridionales et l’Espagne étaient remplies de chrétiens. Le césar Constance Chlore les protégea beaucoup dans toutes ses provinces. Il avait une concubine qui était chrétienne, c’est la mère de Constantin, connue sous le nom de sainte Hélène : car il n’y eut jamais de mariage avéré entre elle et lui, et il la renvoya même dès l’an 292, quand il épousa la fille de Maximien Hercule ; mais elle avait conservé sur lui beaucoup d’ascendant, et lui avait inspiré une grande affection pour notre sainte religion.


DE L’ÉTABLISSEMENT DE L’ÉGLISE SOUS CONSTANTIN.


La divine Providence préparait ainsi, par des voies qui semblent humaines, le triomphe de son Église.

Constance Chlore mourut en 306 à York en Angleterre, dans un temps où les enfants qu’il avait de la fille d’un césar étaient en bas âge, et ne pouvaient prétendre à l’empire. Constantin eut la confiance de se faire élire à York par cinq ou six mille soldats, allemands, gaulois et anglais pour la plupart. Il n’y avait pas d’apparence que cette élection, faite sans le consentement de Rome, du sénat et des armées, pût prévaloir ; mais Dieu lui donna la victoire sur Maxentius élu à Rome, et le délivra enfin de tous ses collègues. On ne peut dissimuler qu’il ne se rendît d’abord indigne des faveurs du ciel, par le meurtre de tous ses proches, et enfin de sa femme et de son fils.

  1. La légende du jeune Romanus se trouve déjà racontée à l’article Dioclétien, page 388.