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ÉGLISE.


« Mais il est expressément donné plein pouvoir à chacun de faire librement l’exercice public ou privé de sa religion, sans qu’on puisse y apporter aucun trouble ni empêchement, sous aucun prétexte, pourvu qu’il fasse profession de croire en un seul Dieu éternel, tout-puissant, créateur, conservateur, gouverneur de l’univers, et qu’il remplisse tous les devoirs de la société civile, auxquels on est obligé envers ses compatriotes. »

Cette loi est encore plus indulgente, plus humaine que celle qui fut donnée aux peuples de la Caroline par Locke, le Platon de l’Angleterre, si supérieur au Platon de la Grèce. Locke n’a permis d’autres religions publiques que celles qui seraient approuvées par sept pères de famille. C’est une autre sorte de sagesse que celle de Penn.

Mais ce qui est pour jamais honorable pour ces deux législateurs, et ce qui doit servir d’exemple éternel au genre humain, c’est que cette liberté de conscience n’a pas causé le moindre trouble. On dirait au contraire que Dieu a répandu ses bénédictions les plus sensibles sur la colonie de la Pensylvanie : elle était de cinq cents personnes en 1682 ; et en moins d’un siècle elle s’est accrue jusqu’à près de trois cent mille : c’est la proportion de cent cinquante à un. La moitié des colons est de la religion primitive ; vingt autres religions composent l’autre moitié. Il y a douze beaux temples dans Philadelphie, et d’ailleurs chaque maison est un temple. Cette ville a mérité son nom d’amitié fraternelle. Sept autres villes et mille bourgades fleurissent sous cette loi de concorde. Trois cents vaisseaux partent du port tous les ans.

Cet établissement, qui semble mériter une durée éternelle, fut sur le point de périr dans la funeste guerre de 1755, quand d’un côté les Français avec leurs alliés sauvages, et les Anglais avec les leurs, commencèrent par se disputer quelques glaçons de l’Acadie. Les primitifs, fidèles à leur christianisme pacifique, ne voulurent point prendre les armes. Des sauvages tuèrent quelques-uns de leurs colons sur la frontière : les primitifs n’usèrent point de représailles ; ils refusèrent même longtemps de payer des troupes ; ils dirent au général anglais ces propres paroles : « Les hommes sont des morceaux d’argile qui se brisent les uns contre les autres ; pourquoi les aiderions-nous à se briser ? »

Enfin dans l’assemblée générale par qui tout se règle, les autres religions l’emportèrent ; on leva des milices : les primitifs contribuèrent, mais ils ne s’armèrent point. Ils obtinrent ce qu’ils s’étaient proposé, la paix avec leurs voisins. Ces prétendus sauvages leur dirent : « Envoyez-nous quelque descendant du grand