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ÉLÉGANCE.

Le rossignol, tremblant dans son obscur séjour,
N’élève point sa voix sous le bec du vautour.
Fuyons, mon cher Dernin, ces malheureuses rives.
Portons nos chalumeaux et nos lyres plaintives
Aux bords de l’Adigo, loin des yeux des tyrans.

Et le reste[1].


ÉLÉGANCE[2].


Ce mot, selon quelques-uns, vient d’electus, choisi. On ne voit pas qu’aucun autre mot latin puisse être son étymologie : en effet, il y a du choix dans tout ce qui est élégant. L’élégance est un résultat de la justesse et de l’agrément.

On emploie ce mot dans la sculpture et dans la peinture. On opposait elegans signum à signum rigens : une figure proportionnée, dont les contours arrondis étaient exprimés avec mollesse, à une figure trop roide et mal terminée.

La sévérité des anciens Romains donna à ce mot, elegantia, un sens odieux. Ils regardaient l’élégance en tout genre comme une afféterie, comme une politesse recherchée, indigne de la gravité des premiers temps : Vitii, non laudis fuit, dit Aulu-Gelle. Ils appelaient un homme élégant à peu près ce que nous appelons aujourd’hui un petit-maître, bellus homuncio, et ce que les Anglais appellent un beau ; mais vers le temps de Cicéron, quand les mœurs eurent reçu le dernier degré de politesse, elegans était toujours une louange, Cicéron se sert en cent endroits de ce mot pour exprimer un homme, un discours poli ; on disait même alors un repas élégant, ce qui ne se dirait guère parmi nous.

Ce terme est consacré en français, comme chez les anciens Romains, à la sculpture, à la peinture, à l’éloquence, et principalement à la poésie. Il ne signifie pas, en peinture et en sculpture, précisément la même chose que grâce.

Ce terme grâce se dit particulièrement du visage, et on ne dit pas un visage élégant, comme des contours élégants : la raison en est que la grâce a toujours quelque chose d’animé, et c’est

  1. Après ces mots, dans les Questions sur l’Encyclopédie, on lisait :

    « Voici une chose plus extraordinaire, une églogue française sans madrigaux et sans galanterie.

    Églogue à M. de Saint-Lambert, auteur du poëme des Quatre Saisons. »

    Puis, sous ce titre, Voltaire donnait son Épître à Saint-Lambert, imprimée tome X. (B.)

  2. Encyclopédie, tome V, 1755.