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ÉPOPÉE.

Voilà ce que les traducteurs de Milton n’ont point du tout rendu ; voilà ce dont ils ont supprimé les trois quarts, et atténué tout le reste. C’est ainsi qu’on en a usé quand on a donné des traductions de quelques tragédies de Shakespeare ; elles sont toutes mutilées et entièrement méconnaissables. Nous n’avons aucune traduction fidèle de ce célèbre auteur dramatique, que celle des trois premiers actes de son Jules César, imprimée à la suite de Cinna, dans l’édition de Corneille avec des commentaires[1].

Virgile annonce les destinées des descendants d’Énée, et les triomphes des Romains ; Milton prédit le destin des enfants d’Adam : c’est un objet plus grand, plus intéressant pour l’humanité ; c’est prendre pour son sujet l’histoire universelle. Il ne traite pourtant à fond que celle du peuple juif, dans les onzième et douzième chants ; et voici mot à mot ce qu’il dit du reste de la terre :

« L’ange Michel et Adam montèrent dans la vision de Dieu ; c’était la plus haute montagne du paradis terrestre, du haut de laquelle l’hémisphère de la terre s’étendait dans l’aspect le plus ample et le plus clair. Elle n’était pas plus haute, ni ne présentait un aspect plus grand que celle sur laquelle le diable emporta le second Adam dans le désert, pour lui montrer tous les royaumes de la terre et leur gloire. Les yeux d’Adam pouvaient commander de là toutes les villes d’ancienne et de moderne renommée, sur le siége du plus puissant empire, depuis les futures murailles de Combalu, capitale du grand-kan du Catai, et de Samarcande sur l’Oxus, trône de Tamerlan, à Pékin des rois de la Chine, et de là à Agra, et de là à Lahore du Grand Mogol, jusqu’à la Chersonèse d’or, ou jusqu’au siége du Persan dans Ecbatane, et depuis dans Ispahan, ou jusqu’au czar russe dans Moscou, ou au sultan venu du Turkestan dans Byzance. Ses yeux pouvaient voir l’empire du Négus jusqu’à son dernier port Ercoco, et les royaumes maritimes Mombaza, Quiloa, et Mélinde, et Sofala qu’on croit Ophir, jusqu’au royaume de Congo et Angola plus au sud. Ou bien de là il voyait depuis le fleuve Niger jusqu’au mont Atlas, les royaumes d’Almanzor, de Fez et de Maroc ; Sus, Alger, Tremizen, et de là l’Europe, à l’endroit d’où Rome devait gouverner le monde. Peut-être il vit en esprit le riche Mexique, siége de Montézume, et Cusco dans le Pérou, plus riche siége d’Atabalipa ; et la Guiane, non encore dépouillée, dont la capitale est appelée Eldorado par les Espagnols. »

  1. Voyez tome VI du Théâtre, et la note sur l’article Art dramatique, tome XVII, page 398.