On appelle les moines eux-mêmes gens de mainmorte, et ils ont des esclaves. Renvoyons cette possession monacale au chapitre des contradictions.
Quand nous avons fait quelques remontrances modestes sur cette étrange tyrannie de gens qui ont juré à Dieu d’être pauvres et humbles[1], on nous a répondu : Il y a six cents ans qu’ils jouissent de ce droit ; comment les en dépouiller ? Nous avons répliqué humblement : Il y a trente ou quarante mille ans, plus ou moins, que les fouines sont en possession de manger nos poulets ; mais on nous accorde la permission de les détruire quand nous les rencontrons.
N. B. C’est un péché mortel dans un chartreux de manger une demi-once de mouton ; mais il peut en sûreté de conscience manger la substance de toute une famille. J’ai vu les chartreux de mon voisinage hériter cent mille écus d’un de leurs esclaves mainmortables, lequel avait fait cette fortune à Francfort par son commerce. Il est vrai que la famille dépouillée a eu la permission de venir demander l’aumône à la porte du couvent, car il faut tout dire.
Disons donc que les moines ont encore cinquante ou soixante mille esclaves mainmortables dans le royaume des Francs. On n’a pas pensé jusqu’à présent à réformer cette jurisprudence chrétienne qu’on vient d’abolir dans les États du roi de Sardaigne ; mais on y pensera. Attendons seulement quelques siècles, quand les dettes de l’État seront payées.