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CATÉCHISME CHINOIS.

-vraisemblable que vous en avez une ? pourriez-vous rejeter un système si beau et si nécessaire au genre humain ? et quelques difficultés vous rebuteront-elles ?

KOU.

Je voudrais embrasser ce système, mais je voudrais qu’il me fût prouvé. Je ne suis pas le maître de croire quand je n’ai pas d’évidence. Je suis toujours frappé de cette grande idée que Dieu a tout fait, qu’il est partout, qu’il pénètre tout, qu’il donne le mouvement et la vie à tout ; et s’il est dans toutes les parties de mon être, comme il est dans toutes les parties de la nature, je ne vois pas quel besoin j’ai d’une âme. Qu’ai-je à faire de ce petit être subalterne, quand je suis animé par Dieu même ? à quoi me servirait cette âme ? Ce n’est pas nous qui nous donnons nos idées, car nous les avons presque toujours malgré nous ; nous en avons quand nous sommes endormis ; tout se fait en nous sans que nous nous en mêlions. L’âme aurait beau dire au sang et aux esprits animaux : Courez, je vous prie, de cette façon pour me faire plaisir ; ils circuleront toujours de la manière que Dieu leur a prescrite. J’aime mieux être la machine d’un Dieu qui m’est démontré que d’être la machine d’une âme dont je doute.

CU-SU.

Eh bien ! si Dieu même vous anime, ne souillez jamais par des crimes ce Dieu qui est en vous ; et s’il vous a donné une âme, que cette âme ne l’offense jamais. Dans l’un et dans l’autre système vous avez une volonté ; vous êtes libre ; c’est-à-dire vous avez le pouvoir de faire ce que vous voulez : servez-vous de ce pouvoir pour servir ce Dieu qui vous l’a donné. Il est bon que vous soyez philosophe, mais il est nécessaire que vous soyez juste. Vous le serez encore plus quand vous croirez avoir une âme immortelle.

Daignez me répondre : n’est-il pas vrai que Dieu est la souveraine justice ?

KOU.

Sans doute; et s’il était possible qu’il cessât de l’être (ce qui est un blasphème), je voudrais, moi, agir avec équité.

CU-SU.

N’est-il pas vrai que votre devoir sera de récompenser les actions vertueuses, et de punir les criminelles quand vous serez sur le trône ? Voudriez-vous que Dieu ne fît pas ce que vous-même vous êtes tenu de faire ? Vous savez qu’il est et qu’il sera toujours dans cette vie des vertus malheureuses et des crimes impunis ; il est donc nécessaire que le bien et le mal trouvent leur jugement dans une autre vie. C’est cette idée si simple, si naturelle, si géné-