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FRANC OU FRANQ ;

Mais comment concilier le caractère des Parisiens de nos jours avec celui que l’empereur Julien, le premier des princes et des hommes après Marc-Aurèle, donne aux Parisiens de son temps ? « J’aime ce peuple, dit-il dans son Misopogon, parce qu’il est sérieux et sévère comme moi. » Ce sérieux, qui semble banni aujourd’hui d’une ville immense, devenue le centre des plaisirs, devait régner dans une ville alors petite, dénuée d’amusements : l’esprit des Parisiens a changé en cela, malgré le climat.

L’affluence du peuple, l’opulence, l’oisiveté, qui ne peut s’occuper que des plaisirs et des arts, et non du gouvernement, ont donné un nouveau tour d’esprit à un peuple entier.

Comment expliquer encore par quels degrés ce peuple a passé des fureurs qui le caractérisèrent du temps du roi Jean, de Charles VI, de Charles IX, de Henri III, de Henri IV même, à cette douce facilité de mœurs que l’Europe chérit en lui ? C’est que les orages du gouvernement et ceux de la religion poussèrent la vivacité des esprits aux emportements de la faction et du fanatisme, et que cette même vivacité, qui subsistera toujours, n’a aujourd’hui pour objet que les agréments de la société. Le Parisien est impétueux dans ses plaisirs, comme il le fut autrefois dans ses fureurs. Le fond du caractère, qu’il tient du climat, est toujours le même. S’il cultive aujourd’hui tous les arts dont il fut privé si longtemps, ce n’est pas qu’il ait un autre esprit, puisqu’il n’a point d’autres organes ; mais c’est qu’il a eu plus de secours ; et ces secours, il ne se les est pas donnés lui-même, comme les Grecs et les Florentins, chez qui les arts sont nés comme des fruits naturels de leur terroir : le Français les a reçus d’ailleurs ; mais il a cultivé heureusement ces plantes étrangères ; et, ayant tout adopté chez lui, il a presque tout perfectionné.

Le gouvernement des Français fut d’abord celui de tous les peuples du Nord : tout se réglait dans les assemblées générales de la nation ; les rois étaient les chefs de ces assemblées, et ce fut presque la seule administration des Français dans les deux premières races, jusqu’à Charles le Simple.

Lorsque la monarchie fut démembrée, dans la décadence de la race carlovingienne ; lorsque le royaume d’Arles s’éleva, et que les provinces furent occupées par des vassaux peu dépendants de la couronne, le nom de Français fut plus restreint ; sous Hugues Capet, Robert, Henri, et Philippe, on n’appela Français que les peuples en deçà de la Loire. On vit alors une grande diversité dans les mœurs, comme dans les lois des provinces demeurées à la couronne de France. Les seigneurs particuliers qui s’étaient