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GOÛT.

Nous trouvâmes près Sercote
(Cas étrange et vrai pourtant)
Des bœufs qu’on voyait broutant
Dessus le haut d’une motte,
Et plus bas quelques cochons
Et bon nombre de moutons, etc.

(Voiture, chanson sur l’air du branle de Metz.)

La fameuse Lettre de la carpe au brochet, et qui lui fit tant de réputation, n’est-elle pas une plaisanterie trop poussée, trop longue, et en quelques endroits trop peu naturelle ? N’est-ce pas un mélange de finesse et de grossièreté, de vrai et de faux ? Fallait-il dire au grand Condé, nommé le brochet dans une société de la cour, qu’à son nom « les baleines du Nord suaient à grosses gouttes », et que les gens de l’empereur pensaient le frire et le manger avec un grain de sel ?

Est-ce un bon goût d’écrire tant de lettres, seulement pour montrer un peu de cet esprit qui consiste en jeux de mots et en pointes ?

N’est-on pas révolté quand Voiture dit au grand Condé, sur la prise de Dunkerque : « Je crois que vous prendriez la lune avec les dents ! »

Il semble que ce faux goût fut inspiré à Voiture par le Marini, qui était venu en France avec la reine Marie de Médicis. Voiture et Costar le citent très-souvent dans leurs lettres comme un modèle. Ils admirent sa description de la rose, fille d’avril, vierge et reine, assise sur un trône épineux, tenant majestueusement le sceptre des fleurs, ayant pour courtisans et pour ministres la famille lascive des zéphyrs, et portant la couronne d’or et le manteau d’écarlate.

Bella figlia d’aprile,
Verginella e reina,
Su lo spinoso trono
Del verde cespo assisa,
De’ fior lo scettro in maestà sostiene ;
E corteggiata intorno
Da lasciva famiglia
Di Zefiri ministri,
Porta d’or’ la corona e d’ostro il manto.

Voiture cite avec complaisance, dans sa trente-cinquième lettre à Costar, l’atome sonnant du Marini, la voix emplumée, le souffle vivant vêtu de plumes, la plume sonore, le chant ailé, le