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GOUVERNEMENT.

d’État, auquel le chancelier de France préside. La cour du banc du roi fut créée sur le modèle du parlement institué par Philippe le Bel. Les plaids communs étaient comme la juridiction du Châtelet. La cour de l’échiquier ressemblait à celle des généraux des finances, qui est devenue en France la cour des aides.

La maxime, que le domaine royal est inaliénable, fut encore une imitation visible du gouvernement français.

Le droit du roi d’Angleterre, de faire payer sa rançon par ses sujets, s’il était prisonnier de guerre ; celui d’exiger un subside quand il mariait sa fille aînée, et quand il faisait son fils chevalier : tout cela rappelait les anciens usages d’un royaume dont Guillaume était le premier vassal.

À peine Philippe le Bel a-t-il rappelé les communes aux états généraux, que le roi d’Angleterre Édouard en fait autant pour balancer la grande puissance des barons : car c’est sous le règne de ce prince que la convocation de la chambre des communes est bien constatée.

Nous voyons donc, jusqu’à cette époque du xive siècle, le gouvernement anglais suivre pas à pas celui de la France. Les deux Églises sont entièrement semblables ; même assujettissement à la cour de Rome ; mêmes exactions dont on se plaint, et qu’on finit toujours par payer à cette cour avide ; mêmes querelles plus ou moins fortes ; mêmes excommunications ; mêmes donations aux moines ; même chaos ; même mélange de rapines sacrées, de superstitions et de barbarie.

La France et l’Angleterre ayant donc été administrées si longtemps sur les mêmes principes, ou plutôt sans aucun principe, et seulement par des usages tout semblables, d’où vient qu’enfin ces deux gouvernements sont devenus aussi différents que ceux de Maroc et de Venise ?

N’est-ce point que, l’Angleterre étant une île, le roi n’a pas besoin d’entretenir continuellement une forte armée de terre, qui serait plutôt employée contre la nation que contre les étrangers ?

N’est-ce point qu’en général les Anglais ont dans l’esprit quelque chose de plus ferme, de plus réfléchi, de plus opiniâtre, que quelques autres peuples ?

N’est-ce point par cette raison que, s’étant toujours plaints de la cour de Rome, ils en ont entièrement secoué le joug honteux, tandis qu’un peuple plus léger l’a porté en affectant d’en rire, et en dansant avec ses chaînes ?

La situation de leur pays, qui leur a rendu la navigation nécessaire, ne leur a-t-elle pas donné aussi des mœurs plus dures ?