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GRÉGOIRE VII.

mie mortelle. Elle possédait, soit comme fiefs de l’empire, soit comme allodiaux, tout le duché de Toscane, le Crémonois, le Ferrarois, le Mantouan, le Parmesan, une partie de la Marche d’Ancône, Reggio, Modène, Spolette, Vérone ; elle avait des droits, c’est-à-dire des prétentions, sur les deux Bourgognes. La chancellerie impériale revendiquait ces terres, selon son usage de tout revendiquer.

Avouons que Grégoire VII aurait été un imbécile s’il n’avait pas employé le profane et le sacré pour gouverner cette princesse, et pour s’en faire un appui contre les Allemands. Il devint son directeur, et de son directeur son héritier.

Je n’examine pas s’il fut en effet son amant, ou s’il feignit de l’être, ou si ses ennemis feignirent qu’il l’était, ou si, dans des moments d’oisiveté, ce petit homme très-pétulant et très-vif abusa quelquefois de sa pénitente, qui était femme, faible et capricieuse : rien n’est plus commun dans l’ordre des choses humaines. Mais comme d’ordinaire on n’en tient point registre, comme on ne prend point de témoins pour ces petites privautés de directeurs et de dirigées, comme ce reproche n’a été fait à Grégoire que par ses ennemis, nous ne devons pas prendre ici une accusation pour une preuve : c’est bien assez que Grégoire ait prétendu à tous les biens de sa pénitente, sans assurer qu’il prétendit encore à sa personne.

6° La donation qu’il se fit faire en 1077 par la comtesse Mathilde est plus que suspecte ; et une preuve qu’il ne faut pas s’y fier, c’est que non-senlement on ne montra jamais cet acte, mais que dans un second acte on dit que le premier avait été perdu. On prétendit que la donation avait été faite dans la forteresse de Canosse ; et dans le second acte on dit qu’elle avait été faite dans Rome[1] . Cela pourrait bien confirmer l’opinion de quelques antiquaires un peu trop scrupuleux, qui prétendent que de mille chartes de ces temps-là (et ces temps sont bien longs), il y en a plus de neuf cents d’évidemment fausses.

Il y eut deux sortes d’usurpateurs dans notre Europe, et surtout en Italie, les brigands et les faussaires.

7° Bayle, en accordant à Grégoire le titre de grand homme, avoue pourtant que ce brouillon décrédita fort son héroïsme par ses prophéties. Il eut l’audace de créer un empereur ; et en cela il fit bien, puisque l’empereur Henri IV avait créé un pape. Henri le déposait, et il déposait Henri : jusque-là il n’y a rien à

  1. Voyez l’article Donations. (Note de Voltaire.)