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HÉRÉSIE.

a été en droit de réprouver tous ceux qui étaient d’une opinion différente de la sienne.

D’un autre côté, l’Église grecque avait le même droit[1] ; aussi réprouva-t-elle les Romains quand ils eurent choisi une autre opinion que les Grecs sur la procession du Saint-Esprit, sur les viandes de carême, sur l’autorité du pape, etc., etc.

Mais sur quel fondement parvint-on enfin à faire brûler, quand on fut le plus fort, ceux qui avaient des opinions de choix ? Ils étaient sans doute criminels devant Dieu, puisqu’ils étaient opiniâtres : ils devaient donc, comme on n’en doute pas, être brûlés pendant toute l’éternité dans l’autre monde ; mais pourquoi les brûler à petit feu dans celui-ci ? Ils représentaient que c’était entreprendre sur la justice de Dieu ; que ce supplice était bien dur de la part des hommes ; que de plus il était inutile, puisqu’une heure de souffrance ajoutée à l’éternité est comme zéro.

Les âmes pieuses répondaient à ces reproches que rien n’était plus juste que de placer sur des brasiers ardents quiconque avait une opinion choisie ; que c’était se conformer à Dieu que de faire brûler ceux qu’il devait brûler lui-même ; et qu’enfin, puisqu’un bûcher d’une heure ou deux est zéro par rapport à l’éternité, il importait très-peu qu’on brûlât cinq ou six provinces pour des opinions de choix, pour des hérésies.

On demande aujourd’hui chez quels anthropophages ces questions furent agitées, et leurs solutions prouvées par les faits : nous sommes forcés d’avouer que ce fut chez nous-mêmes, dans les mêmes villes où l’on ne s’occupe que d’opéra, de comédies, de bals, de modes, et d’amour.

Malheureusement ce fut un tyran qui introduisit la méthode de faire mourir les hérétiques ; non pas un de ces tyrans équivoques qui sont regardés comme des saints dans un parti, et comme des monstres dans l’autre : c’était un Maxime, compétiteur de Théodose ler, tyran avéré par l’empire entier dans la rigueur du mot.

Il fit périr à Trêves, par la main des bourreaux, l’Espagnol Priscillien et ses adhérents, dont les opinions furent jugées erronées par quelques évêques d’Espagne[2]. Ces prélats sollicitèrent le supplice des priscillianistes avec une charité si ardente que Maxime ne put leur rien refuser. Il ne tint pas même à eux qu’on

  1. Voyez, à l’article Concile, les conciles de Constantinople. (Note de Voltaire.)
  2. Histoire de l’Église, ive siècle. (Id.)