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HÉRÉSIE.

Cérinthe était aussi ancien[1] ; on lui attribuait l’Apocalypse de saint Jean. On croit même que saint Paul et lui eurent de violentes disputes.

Il semble à notre faible entendement que l’on devait attendre des premiers disciples une déclaration solennelle, une profession de foi complète et inaltérable, qui terminât toutes les disputes passées et qui prévînt toutes les querelles futures : Dieu ne le permit pas. Le symbole nommé des apôtres, qui est court, et où ne se trouvent ni la consubstantialité, ni le mot trinité, ni les sept sacrements, ne parut que du temps de saint Jérôme, de saint Augustin, et du célèbre prêtre d’Aquilée, Rufin. Ce fut, dit-on, ce saint prêtre, ennemi de saint Jérôme, qui le rédigea.

Les hérésies avaient eu le temps de se multiplier : on en comptait plus de cinquante dès le ve siècle.

Sans oser scruter les voies de la Providence, impénétrables à l’esprit humain, et consultant autant qu’il est permis les lueurs de notre faible raison, il semble que de tant d’opinions sur tant d’articles il y eut toujours quelqu’une qui devait prévaloir. Celle-là était l’orthodoxe, droit, enseignement. Les autres sociétés se disaient bien orthodoxes aussi ; mais, étant les plus faibles, on ne leur donna que le nom d’hérétiques.

Lorsque dans la suite des temps l’Église chrétienne orientale, mère de l’Église d’Occident, eut rompu sans retour avec sa fille, chacune resta souveraine chez elle, et chacune eut ses hérésies particulières, nées de l’opinion dominante.

Les barbares du Nord, étant nouvellement chrétiens, ne purent avoir les mêmes sentiments que les contrées méridionales, parce qu’ils ne purent adopter les mêmes usages. Par exemple, ils ne purent de longtemps adorer les images, puisqu’ils n’avaient ni peintres ni sculpteurs. Il était bien dangereux de baptiser un enfant en hiver dans le Danube, dans le Véser, dans l’Elbe.

Ce n’était pas une chose aisée pour les habitants des bords de la mer Baltique de savoir précisément les opinions du Milanais et de la Marche d’Ancône. Les peuples du midi et du nord de l’Europe eurent donc des opinions choisies, différentes les unes des autres. C’est, ce me semble, la raison pour laquelle Claude, évêque de Turin, conserva dans le ixe siècle tous les usages et tous les dogmes

  1. Cérinthe et les siens disaient que Jésus n’était devenu Christ qu’après son baptême. Cérinthe fut le premier auteur de la doctrine du règne de mille ans, qui fut embrassée par tant de Pères de l’Église. (Id.)