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HOMME.

plaines, étaient couvertes de fruits nourrissants et délicieux, il serait impossible, injuste et ridicule de les garder.

S’il y a quelques îles où la nature prodigue les aliments et tout le nécessaire sans peine, allons-y vivre loin du fatras de nos lois ; mais dès que nous les aurons peuplées, il faudra revenir au tien et au mien, et à ces lois qui très-souvent sont fort mauvaises, mais dont on ne peut se passer.

L’HOMME EST-IL NÉ MÉCHANT ?

Ne paraît-il pas démontré que l’homme n’est point né pervers et enfant du diable ? Si telle était sa nature, il commettrait des noirceurs, des barbaries sitôt qu’il pourrait marcher ; il se servirait du premier couteau qu’il trouverait pour blesser quiconque lui déplairait. Il ressemblerait nécessairement aux petits louveteaux, aux petits renards, qui mordent dès qu’ils le peuvent.

Au contraire, il est par toute la terre du naturel des agneaux tant qu’il est enfant. Pourquoi donc, et comment devient-il si souvent loup et renard ? N’est-ce pas que, n’étant né ni bon ni méchant, l’éducation, l’exemple, le gouvernement dans lequel il se trouve jeté, l’occasion enfin, le déterminent à la vertu ou au crime ?

Peut-être la nature humaine ne pouvait-elle être autrement. L’homme ne pouvait avoir toujours des pensées fausses, ni toujours des pensées vraies, des affections toujours douces, ni toujours cruelles.

Il paraît démontré que la femme vaut mieux que l’homme ; vous voyez cent frères ennemis contre une Clytemnestre.

Il y a des professions qui rendent nécessairement l’âme impitoyable : celle de soldat, celle de boucher, d’archer, de geôlier, et tous les métiers qui sont fondés sur le malheur d’autrui.

L’archer, le satellite, le geôlier, par exemple, ne sont heureux qu’autant qu’ils font de misérables. Ils sont, il est vrai, nécessaires contre les malfaiteurs, et par là utiles à la société ; mais sur mille mâles de cette espèce, il n’y en a pas un qui agisse par le motif du bien public, et qui même connaisse qu’il est un bien public.

C’est surtout une chose curieuse de les entendre parler de leurs prouesses, comme ils comptent le nombre de leurs victimes, leurs ruses pour les attraper, les maux qu’ils leur ont fait souffrir, et l’argent qui leur en est revenu.

Quiconque a pu descendre dans le détail subalterne du barreau ; quiconque a entendu seulement des procureurs raisonner