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HORLOGE.



HUMILITÉ[1].


Des philosophes ont agité si l’humilité est une vertu ; mais, vertu ou non, tout le monde convient que rien n’est plus rare. Cela s’appelait chez les Grecs ταπείνωσις ou ταπείνωμα. Elle est fort recommandée dans le quatrième livre des Lois de Platon ; il ne veut point d’orgueilleux, il veut des humbles.

Épictète en vingt endroits prêche l’humilité. — Si tu passes pour un personnage dans l’esprit de quelques-uns, défie-toi de toi-même. — Point de sourcil superbe. — Ne sois rien à tes yeux. — Si tu cherches à plaire, te voilà déchu. — Cède à tous les hommes ; préfère-les tous à toi ; supporte-les tous.

Vous voyez par ces maximes que jamais capucin n’alla si loin qu’Épictète.

Quelques théologiens, qui avaient le malheur d’être orgueilleux, ont prétendu que l’humilité ne coûtait rien à Épictète, qui était esclave ; et qu’il était humble par état, comme un docteur ou un jésuite peut être orgueilleux par état.

Mais que diront-ils de Marc-Antonin, qui, sur le trône, recommande l’humilité ? Il met sur la même ligne Alexandre et son muletier.

Il dit que la vanité des pompes n’est qu’un os jeté au milieu des chiens ; — que faire du bien et s’entendre calomnier est une vertu de roi.

Ainsi le maître de la terre connue veut qu’un roi soit humble. Proposez seulement l’humilité à un musicien, vous verrez comme il se moquera de Marc-Aurèle.

Descartes, dans son Traité des passions de l’âme, met dans leur rang l’humilité. Elle ne s’attendait pas à être regardée comme une passion.

Il distingue entre l’humilité vertueuse et la vicieuse. Voici comme Descartes raisonnait en métaphysique et en morale :

« Il n’y a rien en la générosité qui ne soit compatible avec l’humilité vertueuse[2], ni rien ailleurs qui puisse changer : ce qui fait que leurs mouvements sont fermes, constants, et toujours fort semblables à eux-mêmes. Mais ils ne viennent pas tant de surprise, pour ce que ceux qui se connaissent en cette façon con-



  1. Questions sur l’ Encyclopédie, septième partie, 1771. (B.)
  2. Descartes, Traité des passions. (Note de Voltaire.)