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IDOLE, IDOLÂTRE, IDOLÂTRIE.

pour lui ; nous le punissons pour l’exemple. Mais Dieu ne peut punir un mort pour qu’il serve d’exemple aux vivants. Personne ne sait si ce mort est condamné ou absous. Dieu ne peut donc le punir que parce qu’il sentit et qu’il exécuta autrefois le désir de mal faire. Mais si, quand il se présente mort au tribunal de Dieu, il n’a plus rien de ce désir, s’il l’a entièrement oublié depuis vingt ans, s’il n’est plus du tout la même personne, qui Dieu punira-t-il en lui ?

Ces questions ne paraissent guère du ressort de l’esprit humain : il paraît qu’il faut dans tous ces labyrinthes recourir à la loi seule ; c’est toujours notre dernier asile.

Lucrèce avait en partie senti ces difficultés quand il peint, dans son troisième livre, un homme qui craint ce qui lui arrivera lorsqu’il ne sera plus le même homme :

Nec radicitus e vita se tollit et eicit ;
Sed facit esse sui quiddam super inscius ipse.

Sa raison parle en vain ; sa crainte le dévore,
Comme si n’étant plus il pouvait être encore.

Mais ce n’est pas à Lucrèce qu’il faut s’adresser pour connaître l’avenir.

Le célèbre Toland, qui fit sa propre épitaphe, la finit par ces mots : Idem futurus Tolandus nunquam ; il ne sera jamais le même Toland. Cependant il est à croire que Dieu l’aurait bien su retrouver s’il avait voulu ; mais il est à croire aussi que l’être qui existe nécessairement est nécessairement bon.


IDOLE, IDOLÂTRE, IDOLÂTRIE[1].


Idole, du grec είδος, figure ; ἴδωλον, représentation d’une figure ; λατρεύειν, servir, révérer, adorer. Ce mot adorer a, comme

  1. Cet article parut d’abord, en 1764, dans le Dictionnaire philosophique ; mais il n’était pas divisé en sections. Il avait été composé pour l’Encyclopédie (voyez la lettre de Voltaire à d’Alembert, du 4 février 1757), et fut imprimé dans le tome VII, publié en 1765. Voltaire le reproduisit en 1771, dans les Questions sur l’Encyclopédie, dans la forme actuelle. Ces diverses éditions présentent quelques différences dont je n’ai relevé que les plus importantes. Quelques additions sont posthumes. (B.)

    — Avez-vous Idole et Idolâtrie ? écrit Voltaire à d’Alembert, 28 décembre 1756. C’est un sujet qui n’a pas encore été traité depuis qu’on en parle. Jamais on n’a adoré les idoles ; jamais culte public n’a été institué pour du bois et de la pierre ; le peuple les a traitées comme il traite nos saints. Le sujet est délicat, mais il comporte de bien bonnes vérités qu’on peut dire. » — Et le 4 février 1757: « Je vous envoie Idole, Idolâtre, Idolâtrie, mon cher maître, écrit Voltaire à d’Alembert ; vous pourriez, vous et votre illustre confrère, corriger ce que vous trouverez de mal, de trop ou de trop peu. » Mais la publication de l’Encyclopédie ayant été suspendue, l’article parut d’abord dans le Dictionnaire philosophique portatif en 1764 ; puis, l’Encyclopédie ayant repris vie, il fut reproduit par elle en 1765. (G. A.)