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IDOLE, IDOLÂTRE, IDOLÂTRIE.

« J’ai voulu qu’on m’enlevât ; emmenez-moi vite : Rome est digne que tout dieu s’y établisse. »

La statue de la Fortune avait parlé : les Scipion, les Cicéron, les César, à la vérité, n’en croyaient rien ; mais la vieille à qui Encolpe donna un écu pour acheter des oies et des dieux[1] pouvait fort bien le croire.

Les idoles rendaient aussi des oracles, et les prêtres, cachés dans le creux des statues, parlaient au nom de la Divinité.

Comment, au milieu de tant de dieux et de tant de théogonies différentes, et de cultes particuliers, n’y eut-il jamais de guerre de religion chez les peuples nommés idolâtres ? Cette paix fut un bien qui naquit d’un mal, de l’erreur même ; car chaque nation, reconnaissant plusieurs dieux inférieurs, trouva bon que ses voisins eussent aussi les leurs. Si vous exceptez Cambyse, à qui on reprocha d’avoir tué le bœuf Apis, on ne voit dans l’histoire profane aucun conquérant qui ait maltraité les dieux d’un peuple vaincu. Les Gentils n’avaient aucune religion exclusive, et les prêtres ne songèrent qu’à multiplier les offrandes et les sacrifices.

[2]Les premières offrandes furent des fruits. Bientôt après il fallut des animaux pour la table des prêtres ; ils les égorgeaient eux-mêmes ; ils devinrent bouchers et cruels : enfin ils introduisirent l’usage horrible de sacrifier des victimes humaines, et surtout des enfants et des jeunes filles. Jamais les Chinois, ni les Parsis, ni les Indiens, ne furent coupables de ces abominations ; mais à Hiéropolis en Égypte, au rapport de Porphyre, on immola des hommes.

Dans la Tauride on sacrifiait des étrangers ; heureusement les prêtres de la Tauride ne devaient pas avoir beaucoup de pratiques. Les premiers Grecs, les Cypriots, les Phéniciens, les Tyriens, les Carthaginois, eurent cette superstition abominable. Les Romains eux-mêmes tombèrent dans ce crime de religion ; et Plutarque rapporte qu’ils immolèrent deux Grecs et deux Gaulois pour expier les galanteries de trois vestales. Procope, contemporain du roi des Francs Théodebert, dit que les Francs immolèrent des hommes quand ils entrèrent en Italie avec ce prince. Les Gaulois, les Germains, faisaient communément de ces affreux sacrifices. On ne peut guère lire l’histoire sans concevoir de l’horreur pour le genre humain.


  1. Petron., cap. cxxxvii.
  2. Cet alinéa et les trois qui le suivent se trouvent dans le Dictionnaire philosophique, 1764, mais non dans les Questions sur l’Encyclopédie, 1771. (B.)