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IGNORANCE.

Cinquième ignorance.

«[1]Qu’est-ce que ce Melchom qui s’était emparé du pays de Gad ? Plaisant dieu que le Dieu de Jérémie devait faire enlever pour être traîné en captivité. »

Ah ! ah ! monsieur l’abbé, vous faites le plaisant ! Vous demandez quel est ce Melchom : je vais vous le dire. Melk ou Melkom signifiait le seigneur, ainsi qu’Adoni ou Adonai, Baal ou Bel, Adad, Shadaï, Éloï ou Éloa. Presque tous les peuples de Syrie donnaient de tels noms à leurs dieux. Chacun avait son seigneur, son protecteur, son dieu. Le nom même de Jehova était un nom phénicien et particulier ; témoin Sanchoniathon, antérieur certainement à Moïse ; témoin Diodore.

Nous savons bien que Dieu est également le dieu, le maître absolu des Égyptiens et des Juifs, et de tous les hommes, et de tous les mondes ; mais ce n’est pas ainsi qu’il est représenté quand Moïse paraît devant Pharaon. Il ne lui parle jamais qu’au nom du Dieu des Hébreux, comme un ambassadeur apporte les ordres du roi son maître. Il parle si peu au nom du maître de toute la nature que Pharaon lui répond : « Je ne le connais pas. » Moïse fait des prodiges au nom de ce Dieu, mais les sorciers de Pharaon font précisément les mêmes prodiges au nom des leurs. Jusque-là tout est égal : on combat seulement à qui sera le plus puissant, mais non pas à qui sera le seul puissant. Enfin le Dieu des Hébreux l’emporte de beaucoup ; il manifeste une puissance beaucoup plus grande, mais non pas une puissance unique. Ainsi, humainement parlant, l’incrédulité de Pharaon semble très-excusable. C’est la même incrédulité que celle de Montézuma devant Cortez, et d’Atabaliba devant les Pizaro.

Quand Josué assemble les Juifs : « Choisissez, leur dit-il[2], ce qu’il vous plaira, ou les dieux auxquels ont servi vos pères dans la Mésopotamie, ou les dieux des Amorrhéens aux pays desquels vous habitez ; mais pour ce qui est de moi et de ma maison, nous servirons Adonaï. »

Le peuple s’était donc déjà donné à d’autres dieux, et pouvait servir qui il voulait.

Quand la famille de Michas, dans Éphraïm, prend un prêtre lévite pour servir un dieu étranger[3] ; quand toute la tribu de Dan

  1. Page 20. (Note de Voltaire.)
  2. Josué, chapitre xxiv, v. 15. (Id.)
  3. Juges, chapitres xvii et xviii. (Id.)