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IGNORANCE.

Vous ne sauriez croire quel tort vous faites à la religion par votre ignorance, et encore plus par vos raisonnements. On devrait vous défendre d’écrire, à vous et à vos pareils, pour conserver le peu de foi qui reste dans ce monde.

Je vous ferais ouvrir de plus grands yeux si je vous disais que ce Newton était persuadé et a écrit que Samuel est l’auteur du Pentateuque. Je ne dis pas qu’il l’ait démontré comme il a calculé la gravitation. Mais apprenez à douter, et soyez modeste. Je crois au Pentateuque, entendez-vous ; mais je crois que vous avez imprimé des sottises énormes.

Je pourrais transcrire ici un gros volume de vos ignorances, et plusieurs de celles de vos confrères ; je ne m’en donnerai pas la peine. Poursuivons nos questions.


SECTION II[1].
Les ignorances.

J’ignore comment j’ai été formé, et comment je suis né. J’ai ignoré absolument pendant le quart de ma vie les raisons de tout ce que j’ai vu, entendu et senti ; et je n’ai été qu’un perroquet sifflé par d’autres perroquets.

Quand j’ai regardé autour de moi et dans moi, j’ai conçu que quelque chose existe de toute éternité ; puisqu’il y a des êtres qui sont actuellement, j’ai conclu qu’il y a un être nécessaire et nécessairement éternel. Ainsi, le premier pas que j’ai fait pour sortir de mon ignorance a franchi les bornes de tous les siècles.

Mais quand j’ai voulu marcher dans cette carrière infinie ouverte devant moi, je n’ai pu ni trouver un seul sentier, ni découvrir pleinement un seul objet ; et du saut que j’ai fait pour contempler l’éternité, je suis retombé dans l’abîme de mon ignorance.

J’ai vu ce qu’on appelle de la matière depuis l’étoile Sirius, et depuis celles de la voie lactée, aussi éloignées de Sirius que cet astre l’est de nous, jusqu’au dernier atome qu’on peut apercevoir avec le microscope, et j’ignore ce que c’est que la matière.

  1. Cette seconde section a été publiée sous ce titre : Les ignorances, dans les Nouveaux Mélanges, III, 1765. (B.)