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INFINI.

nos filles ? S’il est des diables, il est probablement des diablesses. Ainsi, pour être conséquent, on doit croire que les diables masculins font des enfants à nos filles, et que nous en faisons aux diables féminins.

Il n’y a jamais eu d’empire plus universel que celui du diable. Qui l’a détrôné ? la raison[1].



INFINI.
SECTION PREMIÈRE[2].

Qui me donnera une idée nette de l’infini ? je n’en ai jamais eu qu’une idée très-confuse. N’est-ce pas parce que je suis excessivement fini ?

Qu’est-ce que marcher toujours, sans avancer jamais ? compter toujours, sans faire son compte ? diviser toujours, pour ne jamais trouver la dernière partie ?

Il semble que la notion de l’infini soit dans le fond du tonneau des Danaïdes.

Cependant il est impossible qu’il n’y ait pas un infini. Il est démontré qu’une durée infinie est écoulée.

Commencement de l’être est absurde, car le rien ne peut commencer une chose. Dès qu’un atome existe, il faut conclure qu’il y a quelque être de toute éternité. Voilà donc un infini en durée rigoureusement démontré. Mais qu’est-ce qu’un infini qui est passé, un infini que j’arrête dans mon esprit au moment que je veux ? Je dis : Voilà une éternité écoulée ; allons à une autre. Je distingue deux éternités, l’une ci-devant, et l’autre ci-après.

Quand j’y réfléchis, cela me paraît ridicule. Je m’aperçois que j’ai dit une sottise en prononçant ces mots : « Une éternité est passée, j’entre dans une éternité nouvelle. »

Car au moment que je parlais ainsi, l’éternité durait, la fluence du temps courait. Je ne pouvais la croire arrêtée. La durée ne peut se séparer. Puisque quelque chose a été toujours, quelque chose est et sera toujours.

L’infini en durée est donc lié d’une chaîne non interrompue. Cet infini se perpétue dans l’instant même où je dis qu’il est

  1. Voyez l’article Bekker. (Note de Voltaire.)
  2. Formait tout l’article dans les Questions sur l’Encyclopédie, septième partie, 1771. (B.)