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INFLUENCE.

s’affaisse et s’en retourne, tout s’affaisse comme elle : la nature languit, le malade n’est plus vivifié, il part avec la marée. Tout cela est bien expliqué, comme on voit, et n’en est pas plus vrai.

Les éléments, la nourriture, la veille, le sommeil, les passions, ont sur vous de continuelles influences. Tandis que ces influences exercent leur empire sur votre corps, les planètes marchent et les étoiles brillent. Direz-vous que leur marche et leur lumière sont la cause de votre rhume, de votre indigestion, de votre insomnie, de la colère ridicule où vous venez de vous mettre contre un mauvais raisonneur, de la passion que vous sentez pour cette femme ?

Mais la gravitation du soleil et de la lune a rendu la terre un peu plate au pôle, et élève deux fois l’Océan entre les tropiques en vingt-quatre heures : donc elle peut régler votre accès de fièvre, et gouverner toute votre machine. Attendez au moins que cela soit prouvé pour le dire[1].

Le soleil agit beaucoup sur nous par ses rayons, qui nous touchent et qui entrent dans nos pores : c’est là une très-sûre et très-bénigne influence. Il me semble que nous ne devons admettre en physique aucune action sans contact, jusqu’à ce que nous ayons trouvé quelque puissance bien reconnue qui agisse en distance, comme celle de la gravitation, et comme celle de vos pensées sur les miennes quand vous me fournissez des idées. Hors de là, je ne vois jusqu’à présent que des influences de la matière qui touche à la matière.

Le poisson de mon étang et moi, nous existons chacun dans notre séjour. L’eau, qui le touche de la tête à la queue, agit continuellement sur lui. L’atmosphère, qui m’environne et qui me presse, agit sur moi. Je ne dois attribuer à la lune, qui est à quatre-vingt-dix mille lieues de moi, rien de ce que je dois naturellement attribuer à ce qui touche sans cesse ma peau. C’est pis que si je voulais rendre la cour de la Chine responsable d’un procès que j’aurais en France. N’allons jamais au loin quand ce que nous cherchons est tout auprès.

Je vois que le savant M. Menuret est d’un avis contraire dans l’Encyclopédie, à l’article Influence. C’est ce qui m’oblige à me défier

  1. Cette seule ligne contient tout ce qu’on peut dire de raisonnable sur ces influences, et en général sur tous les faits qui paraissent s’éloigner de l’ordre commun des phénomènes. Si l’existence de cet ordre est certaine pour nous, c’est que l’expérience nous la fait observer constamment. Attendons qu’une constance égale ait pu s’observer dans ces influences prétendues} alors nous y croirons de même, et avec autant de raison. (K.)