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INQUISITION.

Une infinité d’autres furent condamnés à la prison perpétuelle, ou soumis à des pénitences de différents genres. Il y eut une si grande émigration qu’on y comptait cinq cents maisons vides, et dans le diocèse trois mille ; et en tout il y eut plus de cent mille hérétiques mis à mort, ou punis de quelque autre manière, ou qui s’expatrièrent pour éviter le châtiment. Ainsi ces Pères pieux firent un grand carnage des hérétiques.

L’établissement de l’Inquisition de Tolède fut une source féconde de biens pour l’Église catholique. Dans le court espace de deux ans, elle fit brûler cinquante-deux hérétiques obstinés, et deux cent vingt furent condamnés par contumace : d’où l’on peut conjecturer de quelle utilité cette Inquisition a été depuis qu’elle est établie, puisqu’en si peu de temps elle avait fait de si grandes choses.

Dès le commencement du xve siècle, le pape Boniface IX tenta vainement d’établir l’Inquisition dans le royaume de Portugal, où il créa le provincial des dominicains, Vincent de Lisbonne, inquisiteur général. Innocent VII, quelques années après, ayant nommé inquisiteur le minime Didacus de Sylva, le roi Jean Ier écrivit à ce pape que l’établissement de l’Inquisition dans son royaume était contraire au bien de ses sujets, à ses propres intérêts, et peut-être même à ceux de la religion.

Le pape, touché par les représentations d’un prince trop facile, révoqua tous les pouvoirs accordés aux inquisiteurs nouvellement établis, et autorisa Marc, évêque de Sinigaglia, à absoudre les accusés ; ce qu’il fit. On rétablit dans leurs charges et dignités ceux qui en avaient été privés, et on délivra beaucoup de gens de la crainte de voir leurs biens confisqués.

Mais que le Seigneur est admirable dans ses voies ! continue Paramo ; ce que les souverains pontifes n’avaient pu obtenir par tant d’instances, le roi Jean III l’accorda de lui-même à un fripon adroit, dont Dieu se servit pour cette bonne œuvre. En effet, les méchants sont souvent des instruments utiles des desseins de Dieu, et il ne réprouve pas ce qu’ils font de bien ; c’est ainsi que[1] Jean, disant à notre Seigneur Jésus-Christ : « Maître, nous avons vu un homme qui n’est point votre disciple, et qui chassait les démons en votre nom, et nous l’en avons empêché ; » Jésus lui répondit : « Ne l’en empêchez pas ; car celui qui fait des miracles en mon nom ne dira point de mal de moi ; et celui qui n’est pas contre vous est pour vous. »

  1. Marc, chapitre ix, v. 37, 39. (Note de Voltaire.)