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JUIFS.

une bonne terre, si ces malheureux avaient en effet habité l’Égypte, que ne les laissait-il en Égypte ? À cela on ne répond que par des phrases théologiques.

La Judée, dit-on, était la terre promise. Dieu dit à Abraham : « Je vous donnerai tout ce pays depuis le fleuve d’Égypte jusqu’à l’Euphrate[1]. »

Hélas ! mes amis, vous n’avez jamais eu ces rivages fertiles de l’Euphrate et du Nil. On s’est moqué de vous. Les maîtres du Nil et de l’Euphrate ont été tour à tour vos maîtres. Vous avez été presque toujours esclaves. Promettre et tenir sont deux, mes pauvres Juifs. Vous avez un vieux rabbin qui, en lisant vos sages prophéties qui vous annoncent une terre de miel et de lait, s’écria qu’on vous avait promis plus de beurre que de pain. Savez-vous bien que si le Grand Turc m’offrait aujourd’hui la seigneurie de Jérusalem, je n’en voudrais pas ?

Frédéric III, en voyant ce détestable pays, dit publiquement que Moïse était bien malavisé d’y mener sa compagnie de lépreux. « Que n’allait-il à Naples ? » disait Frédéric. Adieu, mes chers Juifs ; je suis fâché que terre promise soit terre perdue.

(Par le baron de Broukana[2].)



JUIFS.


SECTION PREMIÈRE[3].


Vous m’ordonnez[4] de vous faire un tableau fidèle de l’esprit des Juifs et de leur histoire ; et, sans entrer dans les voies ineffables de la Providence, vous cherchez dans les mœurs de ce peuple la source des événements que cette Providence a préparés.

Il est certain que la nation juive est la plus singulière qui jamais ait été dans le monde. Quoi qu’elle soit la plus méprisable aux yeux de la politique, elle est, à bien des égards, considérable aux yeux de la philosophie.

  1. Genèse, chapitre xv, v. 18. (Note de Voltaire.)
  2. Il est très-vrai que le baron de Broukana, dont l’auteur emprunte ici le nom, avait demeuré longtemps en Palestine, et qu’il raconta tous ces détails à M. de Voltaire, en conversant avec lui aux Délices, moi étant présent. (Note de Wagnière.)
  3. Cette première section parut dans la Suite des Mélanges (4e partie), 1756 ; ce morceau y était intitulé des Juifs. (B.)
  4. L’auteur adresse ici la parole à Mme  la marquise du Châtelet, pour laquelle plusieurs articles historiques de ce Dictionnaire ont été faits. (K.)