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LANGUES.

disent su padre, su madre, avec un son qui n’est pas tout à fait le u des Italiens ; ils prononcent mui en approchant un peu plus de la lettre u que de l’ou ; ils ne prononcent pas fortement ousted : ce n’est pas le furiale sonans u des Romains.

Les Allemands se sont accoutumés à changer un peu l’u en i ; de là vient qu’ils vous demandent toujours des ékis au lieu d’écus. Plusieurs Allemands prononcent aujourd’hui flûte comme nous ; ils prononçaient autrefois flaûte. Les Hollandais ont conservé l’u, témoin la comédie de madame Alikruc, et leur u diener. Les Anglais, qui ont corrompu toutes les voyelles, n’ont point abandonné l’u ; ils prononcent toujours wi et non oui, qu’ils n’articulent qu’à peine. Ils disent vertu et true, le vrai, non vertou et troue.

Les Grecs ont toujours donné à l’upsilon le son de notre u, comme l’avouent Calepin et Scapula à la lettre upsilon ; et comme le dit Cicéron, de Oratore.

Le même auteur se trompe encore en assurant que les mots anglais humour et spleen ne peuvent se traduire. Il en a cru quelques Français mal instruits. Les Anglais ont pris leur humour, qui signifie chez eux plaisanterie naturelle, de notre mot humeur employé en ce sens dans les premières comédies de Corneille, et dans toutes les comédies antérieures. Nous dîmes ensuite belle humeur. D’Assoucy donna son Ovide en belle humeur ; et ensuite on ne se servit de ce mot que pour exprimer le contraire de ce que les Anglais entendent. Humeur aujourd’hui signifie chez nous chagrin. Les Anglais se sont ainsi emparés de presque toutes nos expressions. On en ferait un livre.

À l’égard de spleen, il se traduit très-exactement, c’est la rate. Nous disions, il n’y a pas longtemps, vapeurs de rate.

Veut-on qu’on rabatte
Par des moyens doux
Les vapeurs de rate
Qui nous minent tous ?
Qu’on laisse Hippocrate,
Et qu’on vienne à nous[1].

Nous avons supprimé rate, et nous nous sommes bornés aux vapeurs.

Le même auteur dit[2] que « les Français se plaisent surtout à ce qu’ils appellent avoir de l’esprit. Cette expression est propre à

  1. Molière, Amour médecin, acte III, scène viii.
  2. (Le président de Brosses.) Tome I, page 73. (Note de Voltaire.)