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LANGUES.

ments vrais et intéressants, et n’étant remplies que de raisonnements alambiqués, pèchent autant par l’expression que par le fond même. Rien n’y est clair, rien ne se montre au grand jour ; tant est vrai ce que dit Boileau (Art poét., I, 53) :

Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement.

L’impropriété des termes est le défaut le plus commun dans les mauvais ouvrages.

HARMONIE DES LANGUES.

J’ai connu plus d’un Anglais et plus d’un Allemand qui ne trouvaient d’harmonie que dans leurs langues. La langue russe, qui est la slavonne, mêlée de plusieurs mots grecs et de quelques-uns tartares, paraît mélodieuse aux oreilles russes.

Cependant un Allemand, un Anglais qui aura de l’oreille et du goût, sera plus content d’ouranos que de heaven et de himmel ; d’anthropos que de man ; de Theos que de God ou Gott ; d’aristos que de goud. Les dactyles et les spondées flatteront plus son oreille que les syllabes uniformes et peu senties de tous les autres langages.

Toutefois, j’ai connu de grands scoliastes qui se plaignaient violemment d’Horace. Comment ! disent-ils, ces gens-là qui passent pour les modèles de la mélodie, non-seulement font heurter continuellement des voyelles les unes contre les autres, ce qui nous est expressément défendu ; non-seulement ils vous allongent ou vous raccourcissent un mot à la façon grecque selon leur besoin, mais ils vous coupent hardiment un mot en deux : ils en mettent une moitié à la fin d’un vers, et l’autre moitié au commencement du vers suivant :

Redditum Cyri solio Phraaten
Dissidens plebi numéro beato-
rum eximit virtus, etc.

(Hor., lib. II, od. ii, 17.)

C’est comme si nous écrivions dans une ode en français :

Défions-nous de la fortu-
ne, et n’en croyons que la vertu.

Horace ne se bornait pas à ces petites libertés ; il met à la