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LOI SALIQUE.

L’Espagne n’eut aucune reine de son chef jusqu’à l’habile Isabelle, en 1461.

En Angleterre, la cruelle et superstitieuse Marie, fille de Henri VIII, est la première qui hérita du trône, de même que la faible et coupable Marie Stuart, en Écosse, au xvie siècle.

Le vaste pays de la Russie n’eut jamais de souveraine jusqu’à la veuve de Pierre le Grand.

Toute l’Europe, que dis-je ? toute la terre était gouvernée par des guerriers au temps où Philippe de Valois soutint son droit contre Édouard III. Ce droit d’un mâle qui succédait à un mâle semblait la loi de toutes les nations. Vous êtes petit-fils de Philippe le Bel par votre mère, disait Valois à son compétiteur ; mais comme je l’emporterais sur la mère, je l’emporte à plus forte raison sur le fils. Votre mère n’a pu vous transmettre un droit qu’elle n’avait pas.

Il fut donc reconnu en France que le prince du sang le plus éloigné serait l’héritier de la couronne au préjudice de la fille du roi. C’est une loi sur laquelle personne ne dispute aujourd’hui. Les autres nations ont adjugé depuis le trône à des princesses : la France a conservé l’ancien usage. Le temps a donné à cet usage la force de la loi la plus sainte. En quelque temps que la loi salique ait été ou faite, ou interprétée, il n’importe ; elle existe, elle est respectable, elle est utile ; et son utilité l’a rendue sacrée.


EXAMEN SI LES FILLES, DANS TOUS LES CAS, SONT PRIVÉES
DE TOUTE HÉRÉDITÉ PAR CETTE LOI SALIQUE.


J’ai déjà donné l’empire à une fille malgré la bulle d’or : je n’aurai pas de peine à gratifier une fille du royaume de France. Je suis plus en droit de disposer de cet État que le pape Jules II, qui en dépouilla Louis XII, et le transféra de son autorité privée à l’empereur Maximilien. Je suis plus autorisé à parler en faveur des filles de la maison de France que le pape Grégoire XIII et le cordelier Sixte-Quint ne l’étaient à exclure du trône nos princes du sang, sous prétexte, disaient ces bons prêtres, que Henri IV et les princes de Condé étaient race bâtarde et détestable de Bourbon ; belles et saintes paroles dont il faut se souvenir à jamais pour être convaincu de ce qu’on doit aux évêques de Rome. Je puis donner ma voix dans les états généraux, et aucun pape n’y peut avoir de suffrage. Je donne donc ma voix sans difficulté, dans trois ou quatre cents ans, à une fille de France qui resterait seule descendante en droite ligne de Hugues Capet. Je la fais reine, pourvu qu’elle soit bien élevée, qu’elle ait l’esprit juste, et qu’elle