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FANATISME.

Le roi de France et son conseil se moquèrent, comme de raison, de cet extravagant.

Notre pasteur biscayen, ayant appris quelque temps après que sa brebis française était malade, défendit au porte-Dieu du canton de la communier, à moins qu’elle ne donnât un billet de confession par lequel il devait apparaître que le mourant n’était point circoncis, qu’il condamnait de tout son cœur l’hérésie de Mahomet, et toute autre hérésie dans ce goût, comme le calvinisme et le jansénisme, et qu’il pensait en tout comme lui évêque biscayen.

Les billets de confession étaient alors fort à la mode. Le mourant fit venir chez lui son curé, qui était un ivrogne imbécile, et le menaça de le faire pendre par le parlement de Bordeaux s’il ne lui donnait pas tout à l’heure le viatique, dont lui mourant se sentait un extrême besoin. Le curé eut peur ; il administra mon homme, lequel, après la cérémonie, déclara hautement devant témoins que le pasteur biscayen l’avait faussement accusé auprès du roi d’avoir du goût pour la religion musulmane, qu’il était bon chrétien, et que le Biscayen était un calomniateur. Il signa cet écrit par-devant notaire[1] ; tout fut en règle : il s’en porta mieux, et le repos de la bonne conscience le guérit bientôt entièrement.

Le petit Biscayen, outré qu’un vieux moribond se fût moqué de lui, résolut de s’en venger ; et voici comme il s’y prit.

Il fit fabriquer en son patois, au bout de quinze jours, une prétendue profession de foi que le curé prétendit avoir entendue. On la fit signer par le curé et par trois ou quatre paysans qui n’avaient point assisté à la cérémonie. Ensuite on fit contrôler

  1. Tout cela est exact. Il y a un premier acte signifié le 30 mai 1769, au curé de Ferney, pour le prier de faire tout ce que les ordonnances du roi et les arrêts des parlements lui commandent à l’égard d’un malade, conjointement avec les canons de l’Église catholique professée dans le royaume..., ledit acte signé Voltaire, Bigex et Wagnières ; puis c’est une déclaration du même jour par-devant notaire qui dément ce qu’ont dit Nonotte, ci-devant soi-disant jésuite, et Guyon, soi-disant abbé, ladite déclaration faite en présence du révérend sieur Adam, prêtre, ci-devant soi-disant jésuite, du sieur Simon Bigex, bourgeois de la Balme de Rhin en Genevois ; du sieur Claude-Étienne Maugier, orfèvre-bijoutier ; de Pierre L’Archevêque, syndic, tous demeurant audit Ferney, témoins requis, — et signée de Voltaire. Ensuite vient une autre déclaration de Voltaire en recevant la communion le même jour dans son lit. Il a prononcé ces paroles : Ayant mon Dieu dans la bouche, je déclare que je pardonne sincèrement à ceux qui ont écrit au roi des calomnies contre moi, et qui n’ont pas réussi dans leur mauvais dessein. (Il désigne là l’évêque d’Annecy.) Ont signé Gros, curé ; Adam, Bigex, Claude Joseph, capucin, Maugier, L’Archevêque, avec Voltaire et le notaire. (G. A.)