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ii
INTRODUCTION.


qui l’accueillaient très-froidement. Ils le font attendre quatre années. Pendant ce temps, il lit sa pièce dans les sociétés élégantes et raffinées où il est reçu : « Je me souviens bien, écrit-il à l’abbé de Chaulieu (20 juin 1746), des critiques que M. le grand-prieur (de Vendôme), et vous, me fîtes dans un certain souper chez M. l’abbé de Bussi. Ce souper-là fit beaucoup de bien à ma tragédie, et je crois qu’il me suffirait, pour faire un bon ouvrage, de boire quatre ou cinq fois avec vous. Socrate donnait ses leçons au lit, et vous les donnez à table : cela fait que vos leçons sont sans doute plus gaies que les siennes. »

Il en fit une lecture au château de Sceaux. Plus tard, beaucoup plus tard, en 1750, il rappelle à la duchesse du Maine les louanges qu’on lui donna et les observations qu’on lui adressa : « Votre Altesse sérénissime, dit-il dans l’épître dédicatoire d’Oreste, se souvient que j’eus l’honneur de lire Œdipe devant elle. La scène de Sophocle ne fut assurément pas comdamnée à ce tribunal, mais vous, et M. le cardinal de Polignac, et M. de Malézieu, et tout ce qui composait votre cour, vous blâmâtes universellement, et avec très-grande raison, d’avoir prononcé le mot d’amour dans un ouvrage où Sophocle avait si bien réussi sans ce malheureux ornement étranger, et ce qui seul avait fait recevoir ma pièce fut précisément le seul défaut que vous condamnâtes. »

Il eut l’honneur d’avoir pour critique Mgr le prince de Conti, qui lui fit remarquer quelques défauts qui avaient échappé aux plus fins connaisseurs. À force d’intéresser tout ce beau monde à son œuvre par une habile soumission et une reconnaissance affectée, il approchait du but. Une opinion avantageuse de sa pièce s’était répandue : « On attend avec impatience, écrit Brossette à Rousseau (20 avril 1717), la tragédie d’Œdipe par M. Arouet, dont on dit par avance beaucoup de bien. Pour moi, j’ai peine à croire qu’une excellente ou même une bonne tragédie puisse être l’ouvrage d’un jeune homme. » Rousseau répond : « Il y a longtemps que j’entends dire merveille de l’Œdipe du petit Arouet. J’ai fort bonne opinion de ce jeune homme ; mais je meurs de peur qu’il n’ait affaibli le terrible de ce grand sujet en y mêlant de l’amour. » Sur ce point capital, nous avons les confidences de Voltaire adressées au P. Porée une douzaine d’années plus tard :

« Je veux d’abord que vous sachiez, écrit-il au P. Porée, pour ma justification, que tout jeune que j’étais quand je fis l’Œdipe, je le composai à peu près tel que vous le voyez aujourd’hui ; j’étais plein de la lecture des anciens et de vos leçons, et je connaissais fort peu le théâtre de Paris ; je travaillais à peu près comme si j’avais été à Athènes. Je consultai M. Dacier, qui était du pays ; il me conseilla de mettre un chœur dans toutes les scènes, à la manière des Grecs ; c’était me conseiller de me promener dans Paris avec la robe de Platon. J’eus bien de la peine seulement à obtenir que les comédiens voulussent exécuter les chœurs qui paraissent trois ou quatre fois dans la pièce ; j’en eus bien davantage à faire recevoir une tragédie presque sans amour. Les comédiennes se moquèrent de moi quand elles virent qu’il n’y avait point de rôle pour l’amoureuse. On trouva la scène de