Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome2.djvu/142

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plan que donnerait le rôle d’Artémire ; nous avons préféré ce dernier, parce qu’il a permis de conserver un plus grand nombre de vers.

On verra dans ces fragments que M. de Voltaire, qui n’avait alors que vingt-six ans, cherchait à former son style sur celui de Racine. L’imitation est même très-marquée[1].


  1. Artémire fut traitée avec si peu d’égards que Voltaire, ne se possédant plus,bondit, de la loge où il se tenait, sur le théâtre, et se mit à prendre à partie et à haranguer le parterre. Lorsqu’on sut que c’était lui, les clameurs s’apaisèrent ; il s’exprima avec tant d’adresse, d’éloquence, de pathétique même, que les murmures se convertirent en bravos. (Duvernet, Vie de Voltaire, 1786, p. 44, 45.)

    Si l’arrêt du public avait été sévère. Voltaire l’avait accepté pleinement ; loin d’en appeler, il le tenait pour bon et déclarait nettement que la pièce ne reparaîtrait plus. C’était compter sans Madame, la mère du Régent, à qui il avait dédié Œdipe, et qui voulut absolument la revoir. Le poëte obtint quelque répit pour remanier l’ouvrage ; mais il aurait eu besoin de bien plus de temps qu’il ne lui en était laissé. « Il fait ses protestations que, quoiqu’il y ait beaucoup changé, il n’a pas assez changé encore ; qu’il faudrait plus d’un mois pour y faire les changements nécessaires, et que l’on n’en peut rien faire de bon. Un auteur ne peut mieux se rendre justice. » Sans doute, et c’est là un mérite assez rare pour être signalé. M. de Caumartin de Boissy, à qui nous empruntons ces lignes, ne paraît pas autrement édifié de cette rigueur du poëte envers son œuvre, et comme Voltaire, qui était sincère, ne voulait point permettre que l’on continuât les représentations d’Artémire, et se prononçait à cet égard avec sa vivacité habituelle, malgré l’accueil plus encourageant du public, il se moque du petit Arouet qu’il trouve et fort extravagant et fort ridicule. « Il dit toutes les sottises du monde au maréchal de Villeroy sur ce qu’il (le maréchal) voulait qu’on la rejouât devant le roi. Il veut absolument la raccommoder encore et se met en fureur contre quiconque lui propose de la faire rejouer. » Mais cela nous semble assez raisonnable et assez légitime, n’en déplaise à M. de Boissy. Ce fut le 23 février que la pièce reparut après de notables corrections pour être jouée on tout huit fois. Le président Bouhier raconte que le poëte, n’ayant pu empêcher qu’on reprit sa pièce, avait comploté, lui et une petite troupe de ses amis, de l’interrompre par leurs clameurs, ce que les comédiens, avertis, s’étaient mis en mesure de prévenir, en lui faisant refuser l’entrée. Il força la garde et se mit à crier au milieu du parterre qu’il priait tout le monde de s’en retourner, et que c’était une chose indigne de jouer une pièce malgré l’auteur. L’exempt des gardes voulut le faire sortir. Arouet, ayant fait quelque résistance, fut maltraité et mis dehors par les épaules, sans que personne osât prendre ouvertement sa défense. Et Artémire, représentée malgré lui, fut applaudie presque d’un bout à l’autre. (G. D.)

    M. G. Desnoiresterres ne croit pas à cette anecdote. « Ce qui reste vrai, dit-il, c’est qu’il avait dû s’incliner devant le désir de gens qu’on ne refuse point. »

    On attribua l’interruption finale de la tragédie à la parodie qu’en donna Dominique aux Italiens, sous le même titre d’Artémire. Mais Voltaire, avant l’éclosion de la parodie, avait pris son parti… Il garda son manuscrit, et se borna à utiliser plus tard dans Mariamne le peu de vers qui lui semblèrent dignes de survivre au naufrage de sa tragédie.