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viii
INTRODUCTION.


Othello fut incontestablement le modèle d’Orosmane. « J’imagine Voltaire, dit le même critique, lisant l’Othello de Shakespeare, et tout révolté de ces figures outrées, de ces bassesses de langage, de cette férocité d’Othello ; quelles images à présenter aux esprits polis du XVIIIe siècle et à ces belles pleureuses des premières loges, comme disait Rousseau. Voltaire avait entrevu cependant le profond pathétique du sujet, et voulait en profiter. Mais pour cela il faut tout changer, tout ennoblir : le Maure de Venise, l’officier de fortune vieilli sous les armes, deviendra le soudan de l’Asie… Cette intrigue obscure de garnison qui fomente la jalousie d’Othello, le poëte la remplace par les plus beaux noms et les souvenirs les plus poétiques de notre histoire : saint Louis, la croisade, Lusignan détrôné et mourant dans les fers ; Desdémona, si soumise, si dévouée à son amour, a disparu devant Zaïre, captive respectée dans le sérail même, fille des rois de Jérusalem, fière avec Orosmane, et lui disant :

Demain tous mes secrets vous seront révélés. »


Zaïre a ravi tout le XVIIIe siècle, et, malgré les critiques qu’elle a essuyées depuis, elle n’en reste pas moins une des œuvres capitales de notre théâtre tragique. Elle consacrait le génie du poëte, jusqu’alors contesté. C’est Laharpe qui nous a transmis dans son Cours de littérature cette curieuse anecdote : « Je tiens de la bouche même de Voltaire, que les plus beaux esprits de ce temps, que Mme de Tencin rassemblait chez elle, et à leur tête Fontenelle et Lamotte, engagèrent cette dame à lui conseiller de ne plus s’obstiner à suivre une carrière pour laquelle il ne semblait pas fait, et d’appliquer à d’autres genres le grand talent qu’il avait pour la poésie, car alors on ne le lui disputait pas ; c’est depuis que son talent pour la tragédie eut éclaté de manière à ne pouvoir pas être mis en doute, qu’on s’avisa de lui contester celui de la poésie. Ainsi les sottises de la haine et de l’envie varient selon les temps et les circonstances ; mais l’envie et la haine ne changent point. Je demandai à Voltaire ce qu’il avait répondu à ce beau conseil : « Rien, me dit-il ; mais je donnai Zaïre. »

La réponse fut en effet péremptoire ; et, croyons-nous, les auteurs même d’Inès de Castro et de Thétis et Pélée se le tinrent pour dit et ne furent plus tentés de revenir à la charge. Le poëte tragique est hors de page.


Disciple de Corneille et de Racine, il commence par marcher sur leurs traces, mais en apportant à la scène, dès son début, la liberté de pensée qui anime toutes ses œuvres. L’étude du théâtre anglais fortifie son génie et lui ouvre quelques routes nouvelles. Dès Zaïre, la tragédie voltairienne est trouvée dans ses variétés principales : Œdipe sert de tête de ligne, si l’on nous passe l’expression, aux œuvres purement traditionnelles : Mérope, Oreste, Sophonisbe, Atrée et Thyeste. Brutus commence les pièces de propagande politique et philosophique : la Mort de César, Rome sauvée, le Triumvirat, Mahomet. Zaïre enfin est la première de ces tragédies plus romanesques et pathétiques, qui offraient tout ce que le théâtre français com-