Ce morceau est tronqué et défiguré[1] dans l’édition de Duchesne et dans les autres. Voici comme il s’y trouve :
Cessez de mutiler tous ces grands monuments,
Ces prodiges des arts consacrés par les temps,
Échappés aux fureurs des flammes, du pillage :
Respectez-les ; ils sont le prix de mon courage, etc.
On voit assez que ce qu’on a retranché était absolument nécessaire et très à sa place.
Ce vers qu’on a substitué,
Échappés aux fureurs des flammes, du pillage,
est un vers indigne de quiconque est instruit des règles de son art, et connaît un peu l’harmonie. Échappés aux fureurs des flammes est une césure monstrueuse.
Ceux qui se plaisent à étudier l’esprit humain doivent savoir que les ennemis de l’auteur, pour faire tomber la pièce, insinuèrent que les meilleurs morceaux étaient dangereux, et qu’il fallait les retrancher ; ils eurent la malignité de faire regarder ces vers comme une allusion à la religion, qui rend le peuple plus docile. Il est évident que par ce passage on ne peut entendre que les sciences des Chinois, méprisées alors des Tartares. On a représenté cette pièce en Italie : il y en a trois traductions. Les inquisiteurs ne se sont jamais avisés de retrancher cette tirade.
La même difficulté fut faite en France à la tragédie de Mahomet ; on suscita contre elle une persécution violente ; on fit défendre les représentations : ainsi le fanatisme voulait anéantir la peinture du fanatisme. Rome vengea l’auteur. Le pape Benoît XIV protégea la pièce ; elle lui fut dédiée ; des académiciens la représentèrent dans plusieurs villes d’Italie, et à Rome même.
Il faut avouer qu’il n’y a pas de pays au monde où les gens de lettres aient été plus maltraités qu’en France : on ne leur rend justice que bien tard.
La tragédie de Tancrède est défigurée d’un bout à l’autre d’une manière encore plus barbare. Dans les éditions de France, il n’y a presque pas une scène où il ne se trouve des vers qui pèchent également contre la langue, l’harmonie et les règles du théâtre. Le libraire de Paris est d’autant plus inexcusable qu’il pouvait consulter notre édition, à laquelle il devait se conformer.
Les éditeurs de Paris ont porté la négligence jusqu’à répéter les mêmes vers dans plusieurs scènes d’Adélaïde du Guesclin. Nous trouvons dans leur édition, à la scène septième du second acte, ces vers qui n’ont pas de sens[2] :
Gardez d’être réduit au hasard dangereux
Que les chefs de l’État ne trahissent leurs vœux.