Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome2.djvu/324

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Et non devant un peuple aveugle, audacieux,
D’un crime tout récent encore furieux,
Qui, ne prévoyant rien, sans crainte s’abandonne
Au frivole plaisir qu’un changement lui donne.

Arons dit de même :

Consuls, et vous, sénat, qu’il m’est doux d’être admis
Dans ce conseil sacré de sages ennemis !
De voir tous ces héros dont l’équité sévère
N’ont jusques aujourd’hui qu’un reproche à se faire ;
Témoin de leurs exploits, d’admirer leurs vertus ;
D’écouter Rome enfin par la voix de Brutus !
Loiu des cris de ce peuple indocile et barbare,
Que la fureur conduit, réunit et sépare,
Aveugle dans sa haine, aveugle en son amour,
Qui menace et qui craint, règne et sert en un jour…

On ne peut nier que l’un de ces deux morceaux n’ait pu fournir l’idée de l’autre : mais l’obligation est assez légère et l’intervalle est immense. On peut observer le même rapport et la même distance entre ces quatre vers de Brutus à son fils, qu’il va condamner :

Reçois donc mes adieux pour prix de ta constance ;
Porte sur l’échafaud cette mâle assurance.
Ton père infortuné tremble à te condamner ;
Va, ne l’imite pas, et meurs sans t’étonner.

et ceux que Voltaire lui prête dans la même circonstance :

Lève-toi, triste objet d’horreur et de tendresse, etc.

Acte V, scène VII (in fine).

Il faut mentionner encore un Brutus latin du P. Porée, joué au collège de Louis-le-Grand. Le dialogue, quoique semé d’antithèses, ne manque ni de vivacité ni de noblesse, mais le plan est d’un homme qui n’a aucune connaissance du théatre. Cette pièce ressemble à toutes celles du même auteur qui ne sont que des espèces de pastiches, des copies maladroites de nos plus belles tragédies françaises. Les trois derniers actes de son Brutus sont calques sur l’Héraclius de Corneille. Les deux fils de Brutus se disputent, comme les deux princes, à qui mourra, et chacun d’eux n’accuse que lui-même et veut justifier et sauver l’autre. Cependant cette pièce du P. Porée a fourni à son élève deux beaux mouvements. Titus, condamné, dit à son père : « Je vais mourir, mon père ; vous l’avez ordonné. Je vais mourir. et je donne volontiers ma vie en expiation de ma faute ; mais ce qui m’accable d’une juste douleur, je meurs coupable envers mon père. Ah ! du moins, que je ne meure pas haï de vous, que je n’emporte pas au tombeau ce regret affreux : accordez à un fils qui vous aime les embrassements paternels : que j’obtienne de vous cette dernière grâce, ouvrez les bras à votre fils, etc. »