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LETTRES SUR ŒDIPE.

Cette petite tromperie de Phorbas devait-elle être le nœud de la tragédie d’Œdipe ? Il s’est pourtant trouvé des gens qui ont admiré cette puérilité ; et un homme distingué à la cour par son esprit m’a dit que c’était là le plus bel endroit de Corneille.

Au cinquième acte[1], Œdipe, honteux d’avoir épousé la veuve d’un roi qu’il a massacré, dit qu’il veut se bannir et retourner à Corinthe ; et cependant il envoie chercher Thésée et Dircé, pour lire

En leur âme
S’ils prêteraient la main à quelque sourde traîne.

Eh ! que lui importent les sourdes trames de Dircé, et les prétentions de cette princesse sur une couronne à laquelle il renonce pour jamais ?

Enfin il me paraît qu’Œdipe apprend avec trop de froideur son affreuse aventure. Je sais qu’il n’est point coupable, et que sa vertu peut le consoler d’un crime involontaire ; mais s’il a assez de fermeté dans l’esprit pour sentir qu’il n’est que malheureux, doit-il se punir de son malheur ? et s’il est assez furieux et assez désespéré pour se crever les yeux, doit-il être assez froid pour dire à Dircé dans un moment si terrible[2] :

Votre frère est connu ; le savez-vous, madame ?…
Votre amour pour Thésée est dans un plein repos.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Aux crimes, malgré moi, l’ordre du ciel m’attache ;
Pour m’y faire tomber, à moi-même il me cache ;
Il offre, en m’aveuglant sur ce qu’il a prédit,
Mon père à mon épée, et ma mère à mon lit.
Hélas ! qu’il est bien vrai qu’en vain on s’imagine
Dérober notre vie à ce qu’il nous destine !
Les soins de l’éviter font courir au-devant,
Et l’adresse à le fuir y plonge plus avant.


Doit-il rester sur le théâtre à débiter plus de quatre-vingts vers avec Dircé et avec Thésée, qui est un étranger[3] pour lui, tandis que Jocaste, sa femme et sa mère, ne sait encore rien de son aventure, et ne paraît pas même sur la scène ?

Voilà à peu près les principaux défauts que j’ai cru apercevoir

  1. Scène ire.
  2. Acte V, scène vii.
  3. Dans les éditions antérieures à l’édition de Kehl, il y a : « qui sont deux étrangers pour lui ». (B.)