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À M. LE CHEVALIER
FALKENER
AMBASSADEUR D’ANGLETERRE À LA PORTE OTTOMANE
(1736)


Mon cher ami (car votre nouvelle dignité d’ambassadeur rend seulement notre amitié plus respectable, et ne m’empêche pas de me servir ici d’un titre plus sacré que le titre de ministre : le nom d’ami est bien au-dessus de celui d’excellence),

Je dédie à l’ambassadeur d’un grand roi et d’une nation libre le même ouvrage que j’ai dédié au simple citoyen, au négociant anglais[1].

Ceux qui savent combien le commerce est honoré dans votre patrie n’ignorent pas aussi qu’un négociant y est quelquefois un législateur, un bon officier, un ministre public.

Quelques personnes corrompues par l’indigne usage de ne rendre hommage qu’à la grandeur, ont essayé de jeter un ridicule sur la nouveauté d’une dédicace faite à un homme qui n’avait alors que du mérite. On a osé, sur un théâtre consacré au mauvais goût et à la médisance, insulter à l’auteur de cette dédicace, et à celui qui l’avait reçue : on a osé lui reprocher d’être un négociant[2].

  1. Ce que M. de Voltaire avait prévu dans sa dédicace de Zaïre est arrivé : M. Falkener a été un des meilleurs ministres, et est devenu un des hommes les plus considérables de l’Angleterre. C’est ainsi que les auteurs devraient dédier leurs ouvrages, au lieu d’écrire des lettres d’esclave à des gens dignes de l’être (1752).
  2. On joua une mauvaise farce à la Comédie italienne de Paris, dans laquelle on insultait grossièrement plusieurs personnes de mérite, et entre autres M. Falkener. Le sieur Hérault, lieutenant de police, permit cette indignité, et le public la siffla (1748). C’est ce même Hérault à qui M. de Voltaire disait un jour : « Monsieur, que fait-on à ceux qui fabriquent de fausses lettres de cachet ? — On les pend. — C’est toujours bien fait, en attendant qu’on traite de même ceux qui en signent de vraies. » (K.)