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ACTE I, SCÈNE I.


Fatime.

Pourquoi donc aujourd’hui vous déclarer contre eux ?
À la loi musulmane à jamais asservie,
Vous allez des chrétiens devenir l’ennemie ;
Vous allez épouser leur superbe vainqueur.

Zaïre.

Qui lui refuserait le présent de son cœur ?
De toute ma faiblesse il faut que je convienne ;
Peut-être sans l’amour j’aurais été chrétienne ;
Peut-être qu’à ta loi j’aurais sacrifié :
Mais Orosmane m’aime, et j’ai tout oublié.
Je ne vois qu’Orosmane, et mon âme enivrée
Se remplit du bonheur de s’en voir adorée.
Mets-toi devant les yeux sa grâce, ses exploits ;
Songe à ce bras puissant, vainqueur de tant de rois,
À cet aimable front que la gloire environne :
Je ne te parle point du sceptre qu’il me donne ;
Non, la reconnaissance est un faible retour,
Un tribut offensant, trop peu fait pour l’amour.

Mon cœur aime Orosmane, et non son diadème[1] ;

Chère Fatime, en lui je n’aime que lui-même.
Peut-être j’en crois trop un penchant si flatteur ;
Mais si le ciel, sur lui déployant sa rigueur,
Aux fers que j’ai portés eût condamné sa vie,
Si le ciel sous mes lois eût rangé la Syrie,
Ou mon amour me trompe, ou Zaïre aujourd’hui
Pour l’élever à soi descendrait jusqu’à lui.

Fatime.

On marche vers ces lieux ; sans doute c’est lui-même.

Zaïre.

Mon cœur, qui le prévient, m’annonce ce que j’aime.

  1. Ces vers rappellent ceux de Bérénice, acte II, sc. V :

    Titus, ah ! plût au ciel que, sans blesser ta gloire,
    Un rival plus puissant voulût tenter ma foi,
    Et pût mettre à mes pieds plus d’empires que toi !
    Que de sceptres sans nombre il pût payer ma flamme !
    Que ton amour n’eût rien à donner que ton âme !
    C’est alors, cher Titus, qu’aimé, victorieux,
    Tu verrais de quel pris ton cœur est à mes yeux.

    Dans la même Bérénice, acte Ier, sc. IV, on lit :

    … Moi, dont l’ardeur extrême,
    Je vous l’ai déjà dit, n’aime en lui que lui-même,
    Mais qui, loin des grandeurs dont il est revêtu.
    Aurais choisi son cœur et cherché sa vertu.caché (B.)