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ACTE II, SCÈNE I.


De ce jeune Orosmane a fléchi la rigueur.
Mais quel triste mélange altère ce bonheur !
Que de ce fier Soudan la clémence odieuse
Répand sur ses bienfaits une amertume affreuse !
Dieu me voit et m’entend ; il sait si dans mon cœur
J’avais d’autres projets que ceux de sa grandeur.
Je faisais tout pour lui : j’espérais de lui rendre
Une jeune beauté, qu’à l’âge le plus tendre
Le cruel Noradin fit esclave avec moi,
Lorsque les ennemis de notre auguste foi,
Baignant de notre sang la Syrie enivrée.
Surprirent Lusignan vaincu dans Césarée.
Du sérail des sultans sauvé par des chrétiens,
Remis depuis trois ans dans mes premiers liens,
Renvoyé dans Paris sur ma seule parole,
Seigneur, je me flattais, espérance frivole !
De ramener Zaïre à cette heureuse cour
Où Louis des vertus a fixé le séjour.
Déjà même la reine, à mon zèle propice,
Lui tendait de son trône une main protectrice.
Enfin, lorsqu’elle touche au moment souhaité,
Qui la tirait du sein de la captivité,
On la retient… Que dis-je ?… Ah ! Zaïre elle-même,
Oubliant les chrétiens pour ce soudan qui l’aime…
N’y pensons plus… Seigneur, un refus plus cruel
Vient m’accabler encor d’un déplaisir mortel ;
Des chrétiens malheureux l’espérance est trahie.

Chatillon.

Je vous offre pour eux ma liberté, ma vie ;
Disposez-en, seigneur, elle vous appartient.

Nérestan.

Seigneur, ce Lusignan, qu’à Solyme on retient,
Ce dernier d’une race en héros si féconde,
Ce guerrier dont la gloire avait rempli le monde,
Ce héros malheureux, de Bouillon descendu,
Aux soupirs des chrétiens ne sera point rendu.

Chatillon.

Seigneur, s’il est ainsi, votre faveur est vaine :
Quel indigne soldat voudrait briser sa chaîne,
Alors que dans les fers son chef est retenu ?
Lusignan, comme à moi, ne vous est pas connu.