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ACTE III, SCÈNE VII.


Zaïre.

Je ne puis soutenir sa colère.

Orosmane.

Zaïre !

Zaïre.

Il m’est affreux, seigneur, de vous déplaire ;
Excusez ma douleur… Non, j’oublie à la fois
Et tout ce que je suis, et tout ce que je dois.
Je ne puis soutenir cet aspect qui me tue.
Je ne puis… Ah ! souffrez que loin de votre vue,
Seigneur, j’aille cacher mes larmes, mes ennuis.
Mes vœux, mon désespoir, et l’horreur où je suis.
(Elle sort.)



Scène VII.

OROSMANE, CORASMIN.
Orosmane.

Je demeure immobile, et ma langue glacée
Se refuse aux transports de mon âme offensée.
Est-ce à moi que l’on parle ? Ai-je bien entendu ?
Est-ce moi qu’elle fuit ? Ô ciel ! et qu’ai-je vu ?
Corasmin, quel est donc ce changement extrême ?
Je la laisse échapper ! je m’ignore moi-même[1].

Corasmin.

Vous seul causez son trouble, et vous vous en plaignez !
Vous accusez, seigneur, un cœur où vous régnez !

Orosmane.

Mais pourquoi donc ces pleurs, ces regrets, cette fuite,
Cette douleur si sombre en ses regards écrite ?
Si c’était ce Français !… quel soupçon ! quelle horreur !
Quelle lumière affreuse a passé dans mon cœur !
Hélas ! je repoussais ma juste défiance :
Un barbare, un esclave aurait cette insolence !

  1. « Le jaloux Orosmane, écrit Lessing, est une figure bien froide en face du jaloux de Shakespeare. Et pourtant Othello fut certainement l’original d’Orosmane. Cibber dit que Voltaire s’est emparé de la torche qui a mis le feu au bûcher tragique de Shakespeare. Il aurait dû dire que Voltaire n’avait pris qu’un tison de ce bûcher flamboyant, et encore un tison fumeux, sans clarté ni chaleur. » (G. A.)