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ACTE IV, SCÈNE V.


Orosmane.

Oui, je veux la voir et lui parler.
Allez, volez, esclave, et m’amenez Zaïre.

Corasmin.

Hélas ! en cet état que pourrez-vous lui dire ?

Orosmane.

Je ne sais, cher ami, mais je prétends la voir.

Corasmin.

Ah ! seigneur, vous allez, dans votre désespoir,
Vous plaindre, menacer, faire couler ses larmes.
Vos hontes contre vous lui donneront des armes ;
Et votre cœur séduit, malgré tous vos soupçons,
Pour la justifier cherchera des raisons.
M’en croirez-vous ? cachez cette lettre à sa vue.
Prenez pour la lui rendre une main inconnue :
Par là, malgré la fraude et les déguisements.
Vos yeux démêleront ses secrets sentiments.
Et des plis de son cœur verront tout l’artifice.

Orosmane.

Penses-tu qu’en effet Zaïre me trahisse ?…
Allons, quoi qu’il en soit, je vais tenter mon sort,
Et pousser la vertu jusqu’au dernier effort.
Je veux voir à quel point une femme hardie
Saura de son côté pousser la perfidie.

Corasmin.

Seigneur, je crains pour vous ce funeste entretien ;
Un cœur tel que le vôtre…

Orosmane.

Ah ! n’en redoute rien.
À son exemple, hélas ! ce cœur ne saurait feindre.
Mais j’ai la fermeté de savoir, me contraindre :
Oui, puisqu’elle m’abaisse à connaître un rival…
Tiens, reçois ce billet à tous trois si fatal :
Va, choisis pour le rendre un esclave fidèle ;
Mets en de sûres mains cette lettre cruelle ;
Va, cours… Je ferai plus, j’éviterai ses yeux ;
Qu’elle n’approche pas… C’est elle, justes cieux !