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ACTE IV, SCÈNE VI.


La honte où je descends de me justifier.
J’ignore si le ciel, qui m’a toujours trahie,
A destiné pour vous ma malheureuse vie.
Quoi qu’il puisse arriver, je jure par l’honneur,
Qui, non moins que l’amour, est gravé dans mon cœur,
Je jure que Zaïre, à soi-même rendue,
Des rois les plus puissants détesterait la vue ;
Que tout autre, après vous, me serait odieux.
Voulez-vous plus savoir, et me connaître mieux ?
Voulez-vous que ce cœur, à l’amertume en proie,
Ce cœur désespéré devant vous se déploie ?
Sachez donc qu’en secret il pensait malgré lui
Tout ce que devant vous il déclare aujourd’hui ;
Qu’il soupirait pour vous, avant que vos tendresses
Vinssent justifier mes naissantes faiblesses ;
Qu’il prévint vos bienfaits, qu’il brûlait à vos pieds,
Qu’il vous aimait enfin, lorsque vous m’ignoriez ;
Qu’il n’eut jamais que vous, n’aura que vous pour maître.
J’en atteste le ciel, que j’offense peut-être ;
Et si j’ai mérité son éternel courroux,
Si mon cœur fut coupable, ingrat, c’était pour vous.

Orosmane.

Quoi ! des plus tendres feux sa bouche encor m’assure !
Quel excès de noirceur ! Zaïre !… Ah, la parjure !
Quand de sa trahison j’ai la preuve en ma main !

Zaïre.

Que dites-vous ? Quel trouble agite votre sein ?

Orosmane.

Je ne suis point troublé. Vous m’aimez ?

Zaïre.

Votre bouche
Peut-elle me parler avec ce ton farouche
D’un feu si tendrement déclaré chaque jour ?
Vous me glacez de crainte en me parlant d’amour.

Orosmane.

Vous m’aimez ?

Zaïre.

Vous pouvez douter de ma tendresse !
Mais, encore une fois, quelle fureur vous presse ?
Quels regards effrayants vous me lancez ! hélas !
Vous doutez de mon cœur ?